Je pense aux trois ans passés à suivre les nouvelles de la révolution et des martyrs, des attentats, des États qui complotent, de ceux qui bénéficient de la guerre dans mon pays. Je suffoque. Quelle est exactement la définition du sens patriotique ?
Depuis deux ans, j’ai subitement cessé de suivre les nouvelles. Les mêmes questions ont commencé à me hanter l’esprit : est-il possible que je ne sois plus concernée par ce qui se passe ? Est-il possible que toutes ces images relayées par les agences de presse ne m’émeuvent plus ? Est-il possible que j’aie pu perdre tout attachement à mon pays ? Il ne me manque plus. Je veux juste préserver « une poignée » de souvenirs de beaux moments que j’ai vécus là-bas, de peur qu’ils ne soient remplacés par les images de la destruction et des ruines.
Mon nom est Raya. J’ai 25 ans. Je suis arrivée il y a deux ans à Beyrouth.
Mon expérience ici n’a rien à voir avec celle de beaucoup d’autres Syriens. J’ai l’impression d’être chez moi à Beyrouth. J’ai eu la chance d’avoir trouvé du travail sans grande peine. J’ai commencé en effet à travailler quinze jours après mon arrivée et j’occupe depuis le même poste. La plupart de ceux qui me connaissent savent que je suis la Syrienne qui s’exprime avec l’accent libanais. Certains ont du mal à croire que je viens du pays voisin parce que mon accent est devenu effectivement libanais. D’autres s’étonnent et me reprochent d’avoir renoncé au mien. Il m’arrive de me justifier, mais la plupart du temps, je ne le fais pas.
Ici, j’ai eu la possibilité de rencontrer beaucoup de gens et de développer des amitiés. Certains amis sont devenus plus proches de moi que ceux qui m’entouraient dans mon pays. Cela me procure un sentiment de sécurité.
J’occupe le même poste depuis près de deux ans. En six ans, c’est la première fois que cela m’arrive. Auparavant je ne restai pas plus de quelques mois au même endroit. Ici, personne ne m’importune et je n’ai pas été confrontée à des comportements racistes, condescendants ou sectaires.
Je trouve souvent des excuses à ceux qui ne cachent pas leur agacement face à la présence massive de Syriens au Liban. Je ne peux pas en vouloir à un pays qui compte quatre millions d’habitants et qui accueille plus d’un million de réfugiés syriens.
Je critique ceux qui comparent la guerre de Syrie à celle du Liban et qui rappellent que des Libanais s’étaient à un moment donné réfugiés en Syrie. Je lance une plaisanterie en disant que si les Libanais s’étaient rendus tous l’un après l’autre en Syrie, ils n’auraient pas dérangé les Syriens, tellement est grande la superficie de leur pays, comparée à celle du Liban.
La différence entre la Syrie et le Liban est que mon pays accorde toujours la priorité aux étrangers. Le salaire de ceux qui travaillent en Syrie, qu’ils soient Libanais ou autre, est le double de celui des Syriens.
Ce que je veux dire en définitive, c’est que le problème ne se pose pas à notre niveau, nous le peuple, qu’il soit syrien ou libanais. C’est ce qu’ « ils » nous ont appris et gravé en nous. Ce sont « eux » qui contrôlent nos postes, nos salaires et nos modes de vie, qui nous offrent des opportunités ou qui les donnent à d’autres, créant ainsi une différence de classes et favorisant la haine et le racisme entre les peuples et les communautés.
En définitive, je suis arrivée à une seule conclusion : depuis deux ans, je vis ici mes plus beaux moments. J’y entretiens les plus belles relations de ma vie. J’ai travaillé et j’ai peiné ici. Ce « ici » est devenu ma seconde patrie. Une patrie est synonyme de générosité, d’amour, de sincérité et de bon traitement. Elle n’est pas une terre autour de laquelle on se dispute pour la posséder.
Pour finir, je dois dire : Mon foyer, ma famille sont ici… à Beyrouth.