C’est donc un développement prometteur, d’autant que ces élections peuvent produire un nouveau leadership à un niveau local au moment où certaines municipalités jouent un rôle crucial dans la gestion de la crise des réfugiés. Non seulement les municipalités sont appelées à gérer sur le plan local la crise des réfugiés – le gouvernement central appliquant trop lentement les mesures adaptées à cette crise depuis son déclenchement – mais elles ont aussi un rôle-clé dans le développement du Liban, ce rôle étant aujourd’hui de la plus haute importance.
Les municipalités sont dotées de larges prérogatives pour accomplir tout travail public dans les limites de leur autorité sur un espace géographique précis. Ce travail comprend l’infrastructure routière, l’éclairage public, la construction et l’entretien des bâtiments scolaires, des hôpitaux, le ramassage des ordures, l’urbanisme et même les activités culturelles. Certains facteurs empêchent toutefois les collectivités locales de remplir efficacement leur rôle, pourtant déterminant pour le développement général.
Un de ces facteurs réside dans le fait que certaines municipalités sont trop petites et par conséquent la collecte des taxes leur assure un revenu réduit, souvent insuffisant pour leur permettre d’assumer leurs responsabilités et être financièrement indépendantes. Le Liban a actuellement plus de 1 000 municipalités (elles étaient 708 en 1998). Ce qui est 25 fois plus élevé qu’à Chypre où il n’y en a que 40, alors que cette île a pratiquement la même superficie que le Liban. C’est aussi le double des municipalités de la Croatie qui est cinq fois plus grande que le Liban. De plus, 70 % de ces municipalités ont une population de moins de 4 000 habitants. C’est pourquoi leurs revenus des taxes municipales ne sont pas suffisants pour leur permettre d’accomplir leurs tâches et d’être en tout cas financièrement autonomes. 90 % des revenus de ces municipalités proviennent du Fonds municipal indépendant, qui lui pose un autre problème (voir plus loin). Avec des revenus aussi réduits, les pouvoirs locaux ne sont donc pas en mesure d’édifier une véritable administration et de recruter le personnel compétent pour accomplir les tâches qui relèvent de leurs responsabilités.
Si on examine de plus près les structures municipales existantes on peut rapidement déduire que bon nombre d’entre elles ne sont pas en mesure de fournir des services favorisant le développement, soit parce qu’elles sont faibles soit parce qu’elles sont paralysées par une lourde bureaucratie. De plus, les municipalités ayant une infrastructure insuffisante ont généralement un nombre réduit de fonctionnaires à plein temps. Plus encore, certaines d’entre elles ont un grand nombre de postes vacants. 400 municipalités ont seulement un employé à plein temps et 87 % du nombre total ont un maximum de six employés. En d’autres termes, seulement 13 % des municipalités (près de 130) ont plus de six employés. Or ce chiffre est considéré comme minimal pour permettre à un pouvoir local de remplir son rôle. De même, seulement la moitié des municipalités ont un personnel suffisamment compétent. Selon une étude relativement récente, 70 % des municipalités ont besoin de nouvelles recrues. Il apparaît aussi que de nombreuses municipalités ont recours à un personnel à mi-temps au lieu des fonctionnaires à plein temps. Ce qui augmente la pression sur leurs structures administratives et leurs capacités institutionnelles. 50 % des employés municipaux sont donc des travailleurs à mi-temps et 28 % des employés titularisés.
Un corps administratif faible, incapable d’assurer les services requis et de recueillir les revenus nécessaires d’une part et d’autre part, des revenus limités rendent les collectivités locales dépendantes du Fonds municipal et des décisions du pouvoir au sujet de la distribution des recettes. Mais la question est ailleurs. Il serait bon de connaître le montant des recettes déposées dans ce fonds. Ce qui reste un secret d’État. De même, il serait bon de connaître, voire de discuter, les critères de distribution de ces recettes aux différentes collectivités locales. En principe, la distribution prend en considération le nombre de résidents enregistrés et le montant des recettes collectées au cours des deux dernières années. Ce double critère favorise en réalité les municipalités qui ont un grand nombre d’habitants et qui, par conséquent, reçoivent directement, par le biais des taxes, des fonds plus importants. De plus, ces taxes sont largement tributaires des prix de la vente, de la location et de l’exploitation immobilière dans ces municipalités. Ce qui signifie que les critères pris en considération favorisent les milieux urbains au détriment des collectivités rurales.
Développer les revenus via les taxes doit aussi être une affaire locale. Les municipalités doivent donc faire des efforts pour percevoir directement les fonds qui leur reviennent. Elles comptent sur 36 taxes directes dont trois d’entre elles constituent 85 % du total des revenus qu’elles collectent directement. Le montant de ces revenus dépend de plusieurs facteurs dont l’évaluation de l’immobilier, la collecte des taxes et la gestion des fonds. Par exemple, la plupart des collectivités locales sont incapables de réévaluer les biens immobiliers, résidentiels ou commerciaux. Ce qui serait pourtant une source importante de revenus. Elles devraient pouvoir le faire tous les trois ou cinq ans, en développant les critères d’évaluation. Mais ce n’est pas fait dans la plupart, pour ne pas dire dans toutes, les municipalités du Liban. Le problème n’est pas limité aux recettes municipales. Il concerne aussi le budget de préparation et d’exécution des projets, sachant que les municipalités ne sont pas capables de faire les distinctions nécessaires entre les fonctions administratives et exécutives pour s’assurer qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts.
Justement, un des facteurs-clés pour assurer un meilleur fonctionnement des municipalités réside dans le questionnement et le contrôle de leur travail. Ce facteur est affaibli à plusieurs niveaux. Par exemple, la différence entre les électeurs inscrits sur les listes et les résidents empêche les habitants d’une localité de faire entendre leur voix à travers les élections. 42 municipalités ont ainsi un nombre de résidents qui fait deux fois celui des électeurs inscrits. Dans ces municipalités, 230 000 sont inscrits alors qu’en réalité, elles abritent plus de 900 000 résidents. Ce qui signifie qu’il y a plus de 670 000 personnes qui n’ont pas leur mot à dire dans les élections municipales. Par contre, 324 municipalités ont un nombre d’électeurs plus importants que les résidents réels. Certaines ont plus d’un million d’inscrits alors que moins de 336 000 personnes y vivent. Ce qui signifie que près de 700 000 personnes ont quitté leurs localités d’origine et sont moins concernées par le scrutin municipal, en ayant d’autres critères et d’autres intérêts. Dans les deux cas, la différence entre les inscrits et les résidents affaiblit le contrôle de l’action des municipalités par l’opération électorale.
Mais le contrôle ne se fait pas seulement à travers les élections. Les citoyens devraient exiger des municipalités qu’elles accomplissent leur travail. Cela suppose que les municipalités soient plus transparentes dans la communication des informations pour que les citoyens puissent étudier les dossiers et s’organiser pour réclamer de meilleurs services.
Les citoyens font des efforts dans ce sens et certains ont même réclamé des municipalités monochromes, appartenant à la même confession que leurs électeurs. L’argument avancé pour une telle revendication repose sur la logique suivante : un conseil municipal homogène sur le plan confessionnel appartenant à la même confession que ses électeurs est censé donner de meilleurs services. Mais une étude effectuée par le centre LCPS dément cette logique et montre que dans les localités où les conseils municipaux sont d’une seule confession ou d’un seul camp, le même que ceux de leurs électeurs, les services fournis ne sont pas meilleurs que dans les conseils mixtes où les électeurs sont de confessions multiples. Ce qui montre que les municipalités dites homogènes ne sont pas plus performantes que les autres. Finalement, le meilleur moyen de booster l’action des collectivités locales reste la reddition de comptes et le contrôle du travail.
La crise des réfugiés syriens a mis en évidence tous ces problèmes. Affirmer que l’afflux des réfugiés a provoqué une crise au Liban n’est pas tout à fait conforme à la réalité. Les défaillances des collectivités locales mises en évidence dans les paragraphes précédents montrent que la crise existait avant. Mais il n’en reste pas moins que les municipalités constituent le lien direct entre les autorités libanaises et les réfugiés. A ce niveau, les collectivités locales restent plus aptes à jouer un rôle actif dans la politique et les projets mis en œuvre pour aider les réfugiés syriens.
Mais pour cela, l’aide du gouvernement central est requise. Le gouvernement doit donc avoir une vision globale de la crise des réfugiés et de la manière de les aider. Et il doit aussi distribuer les tâches aux collectivités locales. Dans ce contexte, le rôle des municipalités dans la gestion de la crise des réfugiés doit faire partie d’un grand travail, conçu par le gouvernement central, soutenu par les organisations internationales et les donateurs et exécuté par les collectivités locales. Une série de recommandations peuvent être faites inspirées des conclusions des débats organisés par le LCPS l’an dernier, qui ont réuni des représentants des collectivités locales et des responsables officiels au sein du gouvernement. Plus précisément, il a été demandé au gouvernement de transférer aux collectivités locales les fonds déposés dans le Fonds municipal indépendant, ou en tout cas de permettre à ces dernières d’avoir accès aux montants déposés dans ce fonds. Il devrait aussi les pousser à se doter des équipes nécessaires pour accomplir le travail qui leur est demandé. Il doit donc les encourager à recruter un personnel compétent. Il doit encore évaluer les besoins des collectivités et faire des études sur le terrain pour pouvoir mettre au point une politique et une stratégie qui bénéficie aux municipalités et tienne compte de ses propres intérêts. De même, des sociétés d’audit devraient surveiller le travail des municipalités pour assurer une bonne gestion des ressources. En même temps, les donateurs doivent reconnaître les besoins spécifiques des collectivités locales, alors que les organisations internationales devraient coordonner leur action avec elles pour optimiser le travail et assurer une complémentarité entre elles.