Les municipalités, tout comme les organisations de la société civile, se sont transformées en de véritables cellules actives en vue d’accompagner les réfugiés et de répondre à leurs besoins, notamment avec le recul des services offerts par certaines organisations internationales ou régionales. Le flux des réfugiés s’est alors mué en un fardeau qui a épuisé les municipalités en raison de l’accumulation des problèmes qui en ont résulté, l’ampleur des besoins et la difficulté d’assurer à ces nouvelles populations les moyens de se loger et de se sustenter.
Des décisions municipales ont dû être prises dans plusieurs régions, comme celle d’imposer le couvre-feu ou de limiter le nombre d’habitants dans les unités de logement. Ces mesures n’obéissent pas à une logique « raciste », mais à une tentative de prévention sécuritaire, selon les municipalités concernées. Celles-ci ont dû aussi assurer l’eau courante et l’électricité, s’occuper des eaux usées et des déchets, et ouvrir des canaux de communication avec les ONG locales et internationales afin de limiter les répercussions de la crise, en attendant les solutions espérées.
Une coordination pour limiter le gaspillage
La ville de Saïda est considérée comme un cas exemplaire d’accueil des réfugiés, ainsi que le souligne le responsable de ce dossier dans son conseil municipal, Kamel Kazbar. « Dès le début de la crise, nous avons créé une fédération des organisations de secours et de développement à Saïda et dans le Sud, afin de recenser et d’enregistrer le nombre de réfugiés qui affluaient dans cette région, et dans l’objectif de répondre à leurs besoins, dit-il. Leur nombre atteint aujourd’hui 5 627 familles, soit environ 32 531 individus, répartis sur les différents quartiers de Saïda et de ses environs, ainsi que dans le camp palestinien de Aïn el-Héloué. »
Selon Kamel Kazbar, la fédération se charge de la coordination entre les organisations d’aides aux réfugiés. « Ces mesures ont permis de limiter le gaspillage et d’assurer que des aides parviennent à toutes les familles sans exception, précise-t-il. Nous sommes dorénavant au fait des besoins de chaque famille. Cette coordination a permis d’alléger les souffrances et de réduire les risques de problèmes, que ce soit au niveau sécuritaire ou social ».
Quatre ans après le début du flux de réfugiés syriens à Saïda et dans ses environs, Kazbar estime que « ces familles vivent désormais dans un état de stabilité financière, notamment par le biais des programmes de soutien mis en place par les ONG, et en raison de la capacité des Syriens à travailler dans plusieurs domaines pour une rémunération relativement inférieure à celle des Libanais ». « La municipalité est soucieuse de respecter un certain ordre de priorité dans les services assurés aux réfugiés, poursuit-il. Ainsi, la proportion de réfugiés qui vivent actuellement dans des appartements moyennant un loyer s’élève à 98 %, alors que 2 % seulement sont regroupés dans des complexes gratuits. Des aides leur sont versées pour leur permettre de s’acquitter du loyer, ainsi que pour leurs dépenses dans les domaines de la santé et de l’hospitalisation. C’est ce qui a permis d’alléger le poids des dépenses sanitaires que versait le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR). Il en est de même dans le domaine de l’éducation : bien que la scolarisation gratuite ait été assurée par le gouvernement et les organisations internationales, nous avons dû nous occuper du transport des élèves ».
Affronter la culture de la méfiance
En raison du fardeau que représente le flux des réfugiés, des programmes d’aide aux municipalités ont été mis en place par l’État comme par les organisations internationales, visant en premier lieu à maintenir la stabilité sociale et à éviter les cas d’injustice. Certains de ces programmes ont permis de renforcer les infrastructures et les services, d’autres étaient axés sur les offres d’emploi, d’autres encore visaient à renforcer les capacités d’organisation du flux des réfugiés, mettre en place les structures d’accueil et réduire les risques sécuritaires, dans un contexte d’augmentation du taux de criminalité. En raison de l’inquiétude croissante des Libanais, amplifiée par les événements qui ont secoué Ersal, et de la situation dramatique de plus de 1,2 million de réfugiés, la culture de la méfiance à l’encontre des réfugiés s’est généralisée dans tout le pays, atteignant quelquefois les limites du racisme.
Dans le caza du Akkar, qui accueille près de 106 000 réfugiés et qui a perdu six de ses habitants dans les affrontements entre l’armée libanaise et les groupes armés à Ersal, les réfugiés sont désormais vus comme un danger permanent. Certaines municipalités ont, par-conséquent, pris à leur égard des mesures de prévention comme le couvre-feu ou l’interdiction de circuler en moto.
Le président du conseil municipal de Hrar, Khaled Youssef, insiste sur le fait que « ces mesures préventives ne sont pas dirigées contre les réfugiés, mais sont prises dans l’intérêt des Syriens et des Libanais, pour le maintien de la sécurité ». Il ajoute : « Les réfugiés ont le droit de travailler et de faire ce qu’ils veulent, dans certaines limites. En tant que municipalité, nous leur apportons les aides nécessaires. Avec le concours de l’organisation « Mada », nous mettons en place des programmes de renforcement des relations entre réfugiés et résidents ». Il insiste particulièrement sur les aides dans le domaine de la santé, « étant donné qu’il existe des cas dont le traitement n’est pas couvert par les organisations internationales ».
« Bien que l’augmentation du nombre des réfugiés ait eu une incidence négative sur les services, le marché de l’emploi et le montant des loyers, la plupart des réfugiés syriens ont réussi à s’intégrer dans la société locale », estime Khaled Youssef.
Ahmed Kassir, un réfugié syrien, pense que les municipalités du Liban-Nord ont constitué un environnement propice aux réfugiés, leur apportant les secours nécessaires dans la mesure de leurs moyens, et prenant des décisions restrictives qui ont varié suivant les régions et leurs spécificités.
« Les mesures restrictives à l’encontre de certains ouvriers syriens se justifient dans les régions touristiques comme Jbeil ou Halate, poursuit-il. Dans d’autres régions, les couvre-feux et l’interdiction de circuler à moto après 18 heures sont perçus, par les réfugiés, comme une limitation de leurs mouvements. Ils se sentent par-conséquent comme en prison. Afin de ne pas susciter en eux un sentiment de discrimination, il faudrait donc alléger ces mesures et les rendre effectives après 22 heures seulement. »
Cette position est aussi celle de Yahia Hachem, un autre réfugié syrien. Celui-ci comprend les mesures visant à limiter les déplacements sur deux-roues, étant donné que ce moyen de transport est utilisé de manière privilégiée par les cellules criminelles dormantes. Mais il est erroné, selon lui, de l’appliquer à tous les conducteurs sans exception. Tout en reconnaissant les efforts des municipalités dans l’accueil des réfugiés, il assure que ces derniers ne doivent pas être perçus comme une concurrence déloyale envers les Libanais, soulignant que leur seul souci est de s’assurer une vie digne en attendant le retour chez eux.
D’un point de vue légal, les municipalités n’ont pas le droit d’imposer une limitation de mouvements à quelque personne que ce soit, assure Nevine Habbal, avocate, vu que de telles mesures sont considérées comme contraires aux droits de l’homme. Toutefois, poursuit-elle, l’article 74 du décret 665/97 de la loi sur les municipalités permet à celles-ci d’interdire tout ce qui pourrait constituer une menace à l’ordre public, à la sécurité ou à la santé publique. Sous couvert de cette prérogative, les municipalités ont pu prendre ce qu’elles ont appelé des « mesures préventives », surtout après la multiplication des incidents sécuritaires, plus particulièrement les vols à l’arraché.
Nevine Habbal estime que « les municipalités n’ont pas pris de mesures exagérées, facilitant au contraire le mouvement des réfugiés, notamment dans les cas d’urgence ».
En raison du fardeau que représente le flux des réfugiés, des programmes d’aide aux municipalités ont été mis en place par l’État comme par les organisations internationales, visant en premier lieu à maintenir la stabilité sociale et à éviter les cas d’injustice