Le Royaume-Uni ayant été incapable de gérer la situation en Palestine, il a été décidé de « mettre un terme à sa mission ». Le 29 octobre 1947, l’assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 181, qui partage la Palestine en deux États : arabe et juif. Jérusalem a bénéficié d’un statut international spécial sous l’autorité administrative des Nations unies. Le droit des Palestiniens à décider de leur sort n’a pas été pris en considération. Ce droit constitue d’ailleurs l’un des principes du droit international auquel on ne peut pas porter atteinte et qui, comme il est connu, ne fait pas objet de prescription.
Après le retrait de la Grande-Bretagne et l’arrivée des gangs sionistes, la vie des Palestiniens a changé. Ils ne sont plus de simples citoyens. Dans la diaspora, ils ont été frappés d’une nouvelle étiquette : « réfugiés » dans les pays voisins.
L’exode dans l’histoire
Le déplacement forcé des Palestiniens n’est pas à l’origine du concept de « l’exil ». Le droit au refuge est l’une des plus anciennes caractéristiques de la civilisation. Cette théorie est renforcée par des textes qui remontent à 3 500 ans avant J-C.
Au cours des premiers siècles du christianisme, le concept de « l’exil » a pris de l’ampleur. Au IVe siècle, les églises étaient bondées de réfugiés qui demandaient à être protégés de l’injustice exercée contre eux par l’empire romain. Cette situation a poussé les hommes de religion chrétiens à travailler sur « la loi de l’exode chrétien ».
Depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’aux années trente du XXe siècle, l’Europe a connu plusieurs vagues d’émigration de juifs d’Allemagne et d’Autriche vers la Palestine. Trois ans après la Nakba, la Convention de 1951 relative au statut de réfugié a été adoptée. Celui-ci a été désigné comme « une personne fuyant son pays vers un autre pays de crainte pour sa vie, de la prison ou de la torture ». Les différentes causes à l’origine de l’exil en ont défini les formes : la guerre, le terrorisme et la pauvreté.
La spécificité du réfugié palestinien
Au vu de la focalisation internationale sur la réinsertion des réfugiés, la communauté internationale a décidé d’exclure les Palestiniens de la Convention et du champ de travail du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Elle a voulu accorder une attention particulière aux réfugiés palestiniens, leur donnant à cet effet une définition propre à eux.
Les Nations unies ont accordé au réfugié palestinien la résolution 194 (le droit au retour et à l’indemnisation). L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) n’a pas défini le réfugié palestinien sur base du concept juridique pur. Dans le but d’offrir l’aide et le secours aux Palestiniens qui ont été chassés de leurs domiciles, il était nécessaire d’identifier les réfugiés que l’Unrwa devrait aider. L’agence onusienne a donc établi une série de définitions qui étaient modifiées en fonction des développements sur le terrain.
L’Unrwa a défini le réfugié palestinien comme étant « une personne dont le lieu de résidence habituel était la Palestine, entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948, et qui a perdu domicile et moyens de subsistance suite au conflit de 1948 ».
La nation arabe et les crises d’exil
Les Palestiniens ne sont plus les seuls « réfugiés arabes ». Les guerres infernales que vivent les pays arabes depuis un certain temps ont fait en sorte que la cause unique se transforme en plusieurs causes et les citoyens de ces pays en réfugiés. Et cela malgré la spécificité des origines de l’exil palestinien qui résulte d’un colonialisme et non de guerres internes comme c’est le cas dans plusieurs pays du monde arabe.
Le Liban a une spécificité. Il existe sur son territoire deux blocs extérieurs au tissu originel du pays : palestinien et syrien. Le premier bloc a des particularités acquises de celles de la cause principale. Le deuxième bloc a des caractéristiques acquises du fait des relations qui unissent les deux peuples. Il est facile de dire qu’il y a une fusion entre les deux blocs du fait du background dont ils sont issus : la guerre. Mais une analyse plus profonde de la situation fait émerger les problèmes.
Ce qui a résulté de la crise syrienne soulève la question suivante : comment le réfugié perçoit-il l’autre réfugié ?
Au Liban, les déplacés syriens avaient deux choix : soit de rester dans les tentes des déplacés qu’assure l’UNHCR, soit de vivre dans des maisons louées. Le deuxième choix englobait plusieurs possibilités au nombre desquelles les camps des réfugiés palestiniens. Ceux-ci comptent un grand nombre de réfugiés syriens. Les Palestiniens ouvrent leurs portes aux déplacés. Dans les camps, les choses ne prennent pas toujours l’aspect de « la charité ». De nombreux Palestiniens trouvent dans les Syriens une « ressource de vie ». En raison de la situation économique précaire dans laquelle ils vivent, de nombreux Palestiniens des camps ont divisé leur maisons, exiguës à la base, et les ont louées aux déplacés. En raison de la forte demande, les prix ont grimpé de manière hystérique. Dans le camp de Bourj Brajneh, le loyer du pseudo-appartement a atteint les 400 dollars par mois (le prix moyen du loyer d’un trois-pièces situé dans une région à revenu moyen). La question dépasse le cadre du « profit économique » et elle est fortement liée à l’identité.
Le Palestinien a toujours estimé qu’il était la principale victime de l’injustice dans le monde arabe. Aujourd’hui, il ne l’est plus. Ou du moins, il n’est plus considéré comme une priorité. Hamed Saffour, militant syrien au Liban, résume la situation. Il explique comment « la crise syrienne l’a emporté sur la cause palestinienne ». La marginalisation de la cause palestinienne a suscité la colère. La comparaison entre la cause palestinienne et la crise syrienne est fausse et injuste. Cela se répercute automatiquement sur les réfugiés, leur discours et leurs pratiques.
Oussama Kaïss, réfugié palestinien, ne nie pas les répercussions de la « crise syrienne », qui a eu un impact sur le « réfugié palestinien ». Il impute cela « au fait que le Palestinien est au départ privé de son droit au travail ainsi que d’autres droits ». Il refuse cependant de généraliser les expressions négatives qui peuvent émaner des réfugiés palestiniens vis-à-vis des Syriens. Il les décrit comme étant des réactions purement personnelles et irresponsables. Hamed Saffour est du même avis. Il souligne de possibles « agissements racistes de la part d’une minorité de Palestiniens qui sont dans une situation économique difficile ».
« La solidarité est l’acte principal que nous ressentons à l’égard de nos frères syriens, parce qu’ils sont partenaires dans le drame », écrit Oussama Kaïss. « La Palestine est occupée. En Syrie, la révolution a tourné à la guerre civile. Il n’est pas possible de comparer entre la cause palestinienne et la crise syrienne ». Malgré cette conviction, il en veut aux Syriens parce qu’ils ont abandonné leur terre. « Comment ont-ils accepté de quitter leur terre en Syrie ? Pourquoi n’ont-ils pas essayé d’y rester ? ». Sur un ton nostalgique, il ajoute : « Par ces mots, nous en voulons à nos ancêtres. »
Entre l’exil palestinien et les autres nationalités, la différence est claire. L’Unrwa garantit aux Palestiniens « le droit au retour et à l’indemnisation », alors que l’UNHCR s’engage à assurer aux autres réfugiés une « patrie de rechange ». Hamed Saffour estime que l’exil est un fait qui peut changer. Chaque fait donne au concept une nouvelle dimension. Il affirme ainsi que « l’expérience de l’exode syrien a changé la perception de l’exil en général ».
Oussama Kaïss, à son tour, dépasse « le concept établi par les Nations unies ». Il estime que « la discrimination à laquelle ont recours les gouvernements empêche le réfugié de se concentrer sur ses principales causes, comme le colonialisme ». Dans son discours, il ressort une accusation à peine voilée sur la non-intégrité du concept international dans sa forme actuelle. Il estime également que l’ampleur de la catastrophe lui profère une ampleur supplémentaire médiatique.
Dans son discours, Hamed Saffour essaie de détourner la problématique de « réfugié face au réfugié » à « réfugié face au pays hôte ». Le Liban, malheureusement, n’est pas un bon exemple de « pays hôte ». Pour lui, le problème reste « l’absence d’une plateforme d’intégration au Liban (entre les réfugiés et l’État) et les répercussions de cette situation sur les réfugiés entre eux. A contrario, il donne l’exemple de la Syrie. « Là-bas, cette plateforme bénéficie d’un espace plus large, le réfugié étant traité comme tout citoyen syrien ». À ces yeux, cette absence de « plateforme d’intégration » au Liban est due à l’obsession grandissante d’implantation qui prévaut sur l’obsession humaine ».
Même son de cloche chez Oussama Kaïss, qui tend vers le discours de « réfugiés-État ». Il estime que les réfugiés sont égaux face au « discours xénophobe que tiennent certains Libanais sur le thème : les réfugiés ont détruit le pays ». D’un ton cynique, il dit : « Comme si la situation était meilleure avant la crise syrienne. »
Bien qu’il admette que les événements ont renforcé « le sentiment envers l’autre », Hamad Saffour tombe de nouveau dans le piège de la comparaison. Il estime que « la xénophobie éprouvée envers le réfugié syrien est plus grande que celle ressentie envers les Palestiniens, puisqu’il y a 52 municipalités qui imposent un couvre-feu sur base de la nationalité ». Il se dit cependant désolé de constater « les réactions contraires et les injures que profèrent les intellectuels syriens envers les Libanais ».
Perdus entre Oslo et Genève
Oussama Kaïss pour sa part dit avec amertume : « Après Oslo, tout a changé. Cet accord m’a éclipsé en tant que réfugié, parce qu’il a reconnu le colon et lui a ôté son statut de colonialiste. Par conséquent, il est normal que je ressente en tant que réfugié la perte de mon droit au retour dans mon village, en Palestine ». Il fait assumer la responsabilité aux personnes qui ont fait main basse sur les intérêts du peuple palestinien, les qualifiant de « groupe de corrompus qui manipulent et contrôlent notre sort ».
Oussama Kaïss estime qu’il existe des similarités entre Oslo et les conférences qui se tiennent à Genève et dans le monde sur les réfugiés syriens. La conférence de Genève ne satisfait pas les aspirations du peuple syrien en général. Hamad Saffour, lui, évite d’évoquer directement ce sujet, mais il rejoint largement l’avis d’Oussama Kaïss. Il souligne que « le concept d’exil devient plus sombre à chaque fois qu’augmentent la corruption et l’injustice... ».
Donc, nous sommes face à une mauvaise réalité qui dénonce le pire. Cette réalité s’exprime par l’ignorance des règles de traitement du dossier lié aux réfugiés et de l’approche qui doit être faite sur des bases politiques, juridiques et de santé saines. Cette réalité s’exprime aussi par une situation économique précaire vécue par les réfugiés, ainsi que par des lois accablantes qui favorisent la déliquescence économique. Il s’agit là d’une forte pression exercée sur le Liban. Ces situations se répercutent sur les différents aspects – social et psychologique – de la vie des réfugiés, comme sur la cohabitation et la fusion de ces derniers avec les Libanais, à l’ombre d’une quasi-absence de soutien international.
Ce qui se passe entre les deux pôles de réfugiés est un cas social que renforcent les lois nationales et internationales. Ce cas nécessite une étude approfondie sous tous ses aspects. Sinon, la communauté internationale serait en premier lieu coupable de négligence morale vis-à-vis des réfugiés. Atteindre le stade où un réfugié entre en colère à la vue d’une miette de pain supplémentaire avec un réfugié d’une autre nationalité signifie que nous sommes devant une catastrophe. Une véritable catastrophe.
Le ballon dirigeable
Une oeuvre de l'artiste palestinien Abdel Rahman Qatanani
Cette oeuvre montre un garçon et une fille dans un ballon dirigeable qui porte tous les symboles du camp de réfugiés avec ses outils, tandis que la petite fille pointe du doigt quelque chose qui l’emplit de bonheur. Le dirigeable symbolise la liberté que recherchent les réfugiés à travers l’envol pour arriver à l'objectif (la Palestine, par exemple).