La nationalité de la femme mariée au Liban est régie par la décision numéro 15 datée du 19 janvier 1925, puis amendée par une loi datant du 11/1/1960. La discrimination contre la femme dans la loi actuelle sur la nationalité au Liban se résume en trois points :
1- L’incapacité pour la mère libanaise d’accorder la nationalité à ses enfants. En d’autres termes, la loi limite l’octroi de la nationalité aux liens du sang paternel. Par conséquent, la mère est privée d’un de ses droits essentiels de citoyenne. De même, la loi lie l’octroi de la nationalité à l’identité territoriale lorsqu’elle stipule : " est considéré comme Libanaise toute personne née sur le territoire du Grand Liban... ".
2- L’incapacité pour l’épouse libanaise de donner la nationalité à son époux non-Libanais.
3- Une distinction est opérée entre la mère d’origine libanaise et l’étrangère qui a obtenu la nationalité libanaise. Autrement dit, les femmes étrangères mariées à des Libanais ont le droit d’acquérir la nationalité libanaise et de la transmettre à leurs enfants si elles survivent à leurs maris, alors que la mère d’origine libanaise est privée de ce droit.
Bien que le Liban ait ratifié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre la femme en 1996, l’État a toutefois émis des réserves sur l’article 9 de cette convention. Cet article stipule que " les États signataires donnent à la femme le même droit que l’homme en ce qui concerne l’octroi de la nationalité ". Ajoutée à d’autres réserves, ce point constitue une discrimination flagrante contre la femme au Liban.
Les arguments brandis face à ceux qui réclament l’amendement de la loi sur la nationalité en faveur de la femme libanaise montrent une mauvaise connaissance des réalités objectives au sein de la société. Il n’y a ainsi pas de données et de listes précises entre les mains des gouvernements et même des organisations non-gouvernementales sur les tendances réelles du mariage des Libanaises avec des non-Libanais. Tout comme il n’y a pas d’éléments concrets sur une tendance des Libanaises à épouser des hommes d’une nationalité déterminée.
Une des lacunes dans la connaissance de ce dossier apparaît dans les réactions des responsables politiques lors de la publication de jugements corrects dans des affaires liées à la loi sur la nationalité et à la discrimination contre la femme qui existe dans cette loi.
Quel est l’impact de cette loi sur les femmes ? Un retour aux chiffres s’impose.
Près de 18 000 mariages mixtes entre des Libanaises et des non-Libanais ont été conclus en 14 ans, (entre 1995 et 2010).[i] Le décompte de ce chiffre a été fait à partir du pourcentage de fécondité qui est au Liban de 2,3 %. Il est apparu que le nombre de personnes concernées dans la période allant de 1995 à 2008 est le suivant :
Pour les parents : 18 000 x 2 = 36 000
Pour les enfants : 18 000 x 2,3 = 41 400
Au total, il y a donc 77 400 personnes lésées, qu’il s’agisse de père, de mère ou d’enfant. Ce chiffre devient significatif lorsqu’on se souvient que le nombre total de Libanais résidents ne dépasse pas 4 millions d’habitants. Ces individus vivent donc au Liban et sont membres des 18 000 familles répertoriées sur une période s’étendant entre 1995 et 2008, c’est-à-dire 14 ans.
La loi actuelle sur la nationalité lèse donc 77 400 personnes, dont 41 400 descendent d’une mère libanaise, qui est une citoyenne à part entière et dont la Constitution définit les obligations avec précision, en période de paix et en période de guerre. Elle a aussi le droit de choisir ses représentants et de les élire et elle est capable de défendre son pays lorsque le devoir l’appelle. Elle a d’ailleurs prouvé son efficacité dans ce domaine. En même temps, la femme au Liban accomplit ses obligations en matière d’impôts et de taxes à l’instar des autres citoyens et peut-être même plus. En dépit de tout cela, elle vit dans sa patrie comme une étrangère, obligée d’intégrer de longues files avec les étrangers pour faire les formalités des cartes de séjour à ses enfants et contrainte à s’adresser aux " puissants " (personnes influentes) pour obtenir un permis de travail à son mari, afin de lui permettre de rester à ses côtés et aux côtés de leurs enfants.
En résumé, les problèmes rencontrés par les femmes à cause de la discrimination dans la loi sur la nationalité sont :
- La résidence obligatoire pour le mari et les enfants ;
- La difficulté d’obtenir les permis de séjour.
Le travail de l’époux
L’épouse et les proches sont contraints de recourir à des emplois virtuels dans le cas des Palestiniens interdits de propriété au Liban.
L’obtention des permis de séjour est en outre un véritable cauchemar, non seulement pour les personnes aux revenus limités, mais aussi pour celles des milieux plus aisés. Toutes se plaignent du temps perdu pour obtenir les permis de séjour et expriment leurs appréhensions lorsque les rendez-vous sont fixés.
De plus, les secteurs d’emplois autorisés sont limités. La situation actuelle prive le mari de l’exercice d’un grand nombre de métiers, notamment les professions libérales, comme la médecine, le droit, le génie ou la pharmacie.
Il existe aussi d’autres fonctions que le mari ne peut exercer que dans le cadre du secteur privé.
L’enseignement
Les enfants ne peuvent pas choisir des études qui leur permettraient d’exercer des professions libérales, comme le génie ou la pharmacie. Ils sont donc condamnés à partir parce qu’ils ne peuvent pas choisir leurs études et leur domaine de travail.
Les soins médicaux
Si les problèmes des familles ayant un niveau social acceptable se limitent aux permis de séjours et au domaine du travail, ceux des autres familles à revenus limités sont bien plus compliqués. L’incapacité de la femme à donner la nationalité à son époux et à ses enfants prive ceux-ci des prestations sociales qui sont un droit pour tous les Libanais, surtout si la femme ne travaille pas et n’est donc pas couverte par la sécurité sociale. Si le problème des enfants peut trouver des solutions dans ce domaine, comment régler celui du mari qui ne peut pas bénéficier des avantages de la caisse de la sécurité sociale ?
L’héritage
Toutes les femmes interrogées ont exprimé leur angoisse au sujet de l’héritage. L’une d’elle a même déclaré : " Je suis contrainte de vendre tous mes biens à l’avenir et de transférer les fonds à l’étranger car les non-Libanais ont un droit de propriété limité. Si je meurs, mes enfants ne pourront pas bénéficier de mes biens. Il leur faudra un décret spécial pour pouvoir le faire ". Il faut préciser que la dame qui s’est exprimée ainsi est Libanaise, et elle devrait donc avoir les mêmes droits que l’homme au lieu d’être considérée comme " une citoyenne de seconde classe ", selon ses propres termes.
Des problèmes psychologiques
Une femme a déclaré: "J’ai le sentiment que mon mari vit un conflit intérieur en raison du problème de l’identité. Il n’a aucune allégeance nationale ni au Liban ni à son pays. Il a perdu l’espoir en ce qui concerne la nationalité ". Puis elle a ajouté : " Je suis inquiète pour l’avenir de mes enfants et leur sort. S’ils n’obtiennent pas la nationalité libanaise, leur père les emmènera dans son pays où ils se sentiront étrangers".
Quel est l’impact de ces problèmes sur l’intégration nationale?
L’État moderne est celui du droit et de la loi. La nationalité fait partie de la relation contractuelle entre l’individu et son pays à travers laquelle ce dernier lui donne des droits et lui impose des obligations.
C’est sur la base de la nationalité que s’opère la distinction entre le citoyen et l’étranger. C’est aussi grâce à elle que les individus se transforment en citoyens liés entre eux par l’État de droit.
Il est inutile d’affirmer que la nationalité devient synonyme de citoyenneté. Elle est la confirmation symbolique de l’appartenance à la patrie et elle constitue par conséquent un élément essentiel de la confirmation de la citoyenneté.
Nous avons vu les conséquences négatives de la discrimination dans la loi sur la nationalité concernant l’intégration nationale. Elle prive en effet un nombre important d’individus de la nationalité d’un pays auquel ils sont attachés affectivement et effectivement, à travers le lien maternel. Ce qui provoque de nombreux problèmes matériels et psychologiques, d’autant que ces personnes sont nées et ont grandi sur cette terre. Cela peut d’ailleurs provoquer une profonde division qui aura des répercussions sur l’intégration sociale considérée comme la base objective de l’édification d’un État moderne.
L’égalité devant la loi n’est pas un objectif en soi. C’est un moyen d’assurer l’intégration sociale. Par contre, la discrimination entre les citoyens d’un même pays sur la base du sexe, de la religion ou d’autres éléments peut ébranler la relation entre le citoyen et l’État, ainsi qu’entre les citoyens eux-mêmes.
Le système de la nationalité qui a accompagné la fondation et l’ascension de l’État moderne est considéré comme un filet de sécurité pour la société politique. Priver les enfants de leur nationalité peut ébranler cette société et provoquer une instabilité.
Les arguments politiques brandis face à l’adoption d’une loi juste et équitable au sujet de la nationalité laissent des traces importantes sur un grand nombre de Libanaises et leurs familles. Pourquoi les Libanaises seules doivent payer des prix politiques ? Les étrangères qui épousent des Libanais ne constituent-elles pas elles aussi un poids qui alourdit l’équilibre politique?
N’est-il pas temps de séparer le concept de l’égalité des citoyens devant la loi?
L’amendement de la loi actuelle sur la nationalité ne peut plus être reporté. Les femmes attendent une telle démarche, non pas comme une générosité qu’on leur accorde, mais comme un droit qu’il est temps de retrouver.
[i] Ce paragraphe a été choisi car il commence avec la loi sur la naturalisation, qui avait été approuvée par le gouvernement en 1995, jusqu’au lancement du projet sur les droits de la femme libanaise, mis en œuvre par la Commission nationale de suivi des questions féminines avec un certain nombre de sociétés civiles, avec le soutien du Pnud.