Femmes libanaises : « Cette mer n'est pas à nous »...

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Posté sur déc. 01 2015 5 minutes de lecture
Femmes libanaises : « Cette mer n'est pas à nous »...
Le voyage en mer et l’arrivée de quelques familles syriennes en sécurité en Grèce ont pesé lourd sur les épaules de femmes libanaises dont le mari ou le père leur ont donné le choix entre le fait de prendre la mer à la recherche d’un avenir meilleur ou celui d’attendre à Beyrouth. Elles ont décidé de rester.
Kelly, 22 ans, est assise dans le canapé de son père près d’une fenêtre qui donne sur la mer dans la région d’Ouzaï. Elle regarde les avions de l’aéroport de Beyrouth en face d’elle atterrir et s’exclame : « Je déteste cette mer désormais. Nous avions l’habitude de rester ici, dans cette chambre modeste, tous ensembles, au quotidien. Nous avions l’habitude de manger, de boire de rire… Mais ils ont décidé de partir et j’ai décidé de rester ».
Mayes Safwan a pris un jour la décision de partir pour l’Europe, croyant dur comme fer qu’une telle initiative changera sa vie. Il est parti en octobre dernier avec onze membres de sa famille à bord d’un avion de Beyrouth à Istanbul. Il a ensuite pris le bus pour la côte d’Izmir. Là-bas, les barques attendaient les émigrés pour les amener vers les côtes grecques. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu, l’embarcation a coulé. Seulement trois personnes de la famille ont survécu.
Kelly et Mirna, les aînées de Mayes Safwan, ont décidé de rester à Beyrouth et de ne pas s’embarquer dans une aventure qui ne leur ressemble pas. Les deux jeunes femmes évoquent les raisons qui ont poussé leur père à prendre l’horrible décision de partir. Mirna raconte : « On lui a dit que le chemin était facile. Qu’il est simple d’arriver d’Istanbul à Izmir et que la traversée en barque ne prendra pas plus d’une heure, qu’il fera bon et beau au cours de cette période… On lui a dit aussi que la route vers l’Allemagne n’est pas difficile… Notre famille n’est même pas arrivée en Grèce ! ».
La famille de Mirna et de Kelly n’est pas la seule famille libanaise habitant Beyrouth à prendre la mer pour tenter sa chance en Europe, encouragée par les histoires de leurs proches vantant la facilité de la traversée. Les deux jeunes femmes, elles, ont décidé de rester sur place. Elles ont eu peur de prendre la mer. Elles ont souhaité bonne chance à leur famille et ont commencé à attendre, souhaitant que tout se passe bien. Ce qui n’a pas été le cas. L’accord conclu entre la famille et les passeurs n’était pas bon. Et, ce soir-là, les vagues étaient trop hautes.
Autre lieu de Beyrouth. Dans un magasin de la capitale libanaise, Maya est fébrile. Elle range de la marchandise, s’assoit, regarde son téléphone. Maya a 35 ans. Elle est Libanaise et elle a refusé de quitter Beyrouth avec son mari qui, lui, a décidé il y a un mois de partir pour l’Allemagne. Aussi, en prenant la mer.
« C’est un grand risque et sincèrement je n’ai pas le courage. Même si on n’a pas encore des enfants, ce qui facilite le voyage vers l’Europe… Je ne veux pas partir de cette façon en mer. J’ai peur de mourir noyée », affirme la jeune femme. Elle a dit au revoir à son mari qui est parti pour Bodrum en Turquie, ville côtière à partir de laquelle il a pris une embarcation jusqu’en Grèce. Six mois ont passé, son époux, qui se trouve désormais en Allemagne, attend d’être transféré d’un centre d’accueil pour réfugiés vers un appartement.
Maya attend que la situation de son conjoint lui permette d’effectuer les démarches nécessaires pour un regroupement familial. Elle le retrouvera ainsi en Europe et le couple poursuivra sa vie.
La jeune femme note cependant : « Nous sommes Libanais. Et jusqu’à présent mes sentiments restent mitigés. Je pense qu’avec notre voyage nous empêchons une famille syrienne de partir et d’obtenir le droit d’asile… Mais nous n’avons pas d’avenir ici. Les 600 dollars que nous gagnons par mois seront insuffisants si nous avons un enfant. Je veux fonder une famille. Je m’approche de la quarantaine. J’ai voulu partir mais j’ai laissé mon mari s’aventurer seul et je me suis dit : ‘S’il arrive c’est bon. Sinon, il aura lui-même scellé son sort’ ».
Sarah se déplace entre Beyrouth et Tripoli pour le travail. Son mari, s’est lui aussi établi en Allemagne il y a un an. Cette Libanaise de Tripoli attend, elle aussi, avec ses enfants le regroupement familial après avoir refusé de prendre la mer avec son époux et aussi de le rejoindre ensuite seule avec leur deux enfants.
Quand Sarah a appris en lisant le journal la noyade la famille de Mayes Safwan, elle a décidé de ne plus partir. « Le jour où j’ai appris la nouvelle, j’ai appelé l’agence de voyage qui m’avait préparé le voyage en mer, à moi et mes deux enfants, et j’ai tout décommandé. J’ai dit que je ne partirai pas et j’ai donné nos trois places à d’autres personnes. L’idée de la noyade m’a effrayée… Je me suis dit que je serai seule avec mes enfants. Si j’avais à sauver l’un d’eux, lequel choisirai-je ? Mon fils âgé de six ans ou ma toute petite fille ? J’ai décidé d’attendre le regroupement familial, même si cela prendra un, deux, trois ou dix ans. Je ne donnerai pas à la mer l’occasion de me voler mes enfants. Mon mari a réussi à braver les vagues mais nous n’avons aucune garantie », souligne-t-elle en conclusion.

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