«Mille et un Titanic»: les horreurs de l’émigration à travers un spectacle muet

salam wa kalam website logo
trending Tendance
Posté sur déc. 01 2015 6 minutes de lecture
«Mille et un Titanic»: les horreurs de l’émigration à travers un spectacle muet
© Dalia khamissy
Le spectacle « Mille et un Titanic » raconte les horreurs endurées par les émigrés en mer, ainsi que les raisons qui poussent des dizaines de milliers d’êtres humains à quitter leur pays, s’arracher à leur vie et prendre la mer pour entreprendre une traversée cernée de toutes parts par la mort, en quête d’un rêve : vivre pleinement leur vie d’êtres humains de l’autre côté des flots.
Le spectacle traite de la dure image de l’émigration, qui se trouve aujourd’hui en tête des préoccupations des médias et qui suscite une crainte profonde dans le monde, en utilisant le théâtre des marionnettes, à l’opposé de l’image gravée dans l’esprit de beaucoup selon laquelle ce genre de théâtre reste limité au divertissement pour enfants.
Le spectacle évite souvent la tragédie dans son approche du dossier, qu’il aborde au contraire avec des modes d’expression qui ne manquent pas de légèreté, de dérision, d’imagination, de magie et de trucages scéniques, dans le but de parler au public de l’âpreté de l’émigration d’une façon légère et amusante, à la manière d’un « théâtre d’images ».
Cette représentation muette s’écarte un peu des règles du théâtre de marionnettes, dans la mesure où tout sur scène se transforme en pantins : cela va des animaux domestiques du village auxquels la mort n’est pas épargnée, aux missiles des avions qui s’abattent sur les petites localités, en passant par la valise du voyageur qui refuse de s’en aller, les barques des migrants dont le sort est à la merci des flots, la grande mer agitée qui engloutit tous les jours des dizaines de personnes avec leurs rêves, leurs histoires et leurs tragédies... Tous ces éléments sont transformés en marionnettes qui partagent la scène avec les acteurs et interagissent avec eux.
Ce spectacle a été conçu muet, pour que sa trame aille de pair avec la musique, tantôt jouée en direct et tantôt préenregistrée, dans le but de montrer que la question de l’émigration transcende les langues et les pays, et afin que le spectacle transcende lui aussi au sein de son public-cible, les langues et les pays.
Plusieurs accessoires accompagnant l’itinéraire de tout réfugié – la plupart du temps du papier journal, du plastique et du carton – ont été utilisés dans la création du décor scénique et des diverses marionnettes. Ils symbolisent la fragilité de sa réalité face à la machine de répression et de guerre, et face au périple ardu.
Le spectacle, qui s’étale sur près de 50 minutes, raconte une histoire contée par Schéhérazade à Shahryar concernant un jeune homme vivant dans un pays d’Orient dévasté par la guerre, ce qui le pousse à partir. Les chapitres se succèdent aussitôt, du village tranquille avant l’arrivée des missiles, aux idées sur l’émigration qui hantent ce jeune homme, jusqu'à ce qu’il finisse parmi les flots, tout près du rivage de son rêve européen, au milieu des vagues déchaînées au fracas terrifiant, dans une fin suspendue et ouverte, exactement comme la question à laquelle il ne trouve pas de réponse : les gens doivent-ils fuir la guerre pour affronter le danger de la mer et aller vraisemblablement au-devant de la mort au gré de chaque vague ? Ou bien doivent-ils rester dans leur pays, avec le risque de mourir au quotidien à chaque fois qu’un coup de feu est tiré ? N’est-ce pas là le paradoxe intérieur propre à chaque émigré, déchiré entre fuir son pays en danger ou se déraciner dans un pays sûr mais qui ne lui ressemble pas.
La pièce « Mille et un Titanic » a fait le tour de la Suède et du Denmark, surtout les camps de réfugiés dans ces deux pays, avant de gagner Beyrouth et les camps de réfugiés syriens et palestiniens au Liban, puis le festival de Carthage à Tunis.
Ci-dessous, un entretien réalisé avec le metteur en scène de cette pièce, Mahmoud Hourani, Palestino-britannique résidant à Beyrouth :
Comment avez-vous choisi ce thème ?
La question de l’émigration est devenue une part de notre quotidien, qui nous suit dans les informations de tous les jours, que ce soit celles que nous entendons ou les images douloureuses dont nous sommes témoins à travers les médias. C’est pourquoi le sujet s’est imposé de lui-même, et nous avons décidé de le traiter dans notre pièce.
Pourquoi ce nom de « Mille et un Titanic » ?
Au début du XXe siècle, il y a eu le naufrage douloureux du Titanic. La coïncidence, c’est que ce navire transportait aussi à son bord des migrants. De nos jours, une barque ou un navire en partance de nos pays avec des migrants à bord sombre tous les jours en pleine mer de manière tragique.
La pièce raconte-t-elle plus que la simple histoire d’un homme qui émigre ?
La pièce raconte l’histoire d’un migrant, mais elle tente de dire peut-être que celui-ci n’est pas nécessairement un homme suspect ou accusé de quoi que ce soit, mais qu’il avait un jour une maison, une ferme et une terre. Puis, les circonstances l’ont poussé à laisser sa vie dans son pays et à fuir vers les contrées des autres… Ce sont des circonstances que nous sommes tous supposés connaître.
Que signifient la présence de Schéhérazade et Shahryar et l’atmosphère des mille et une nuits dans la première et la dernière partie de la pièce ?
Tout le monde connaît les contes des Mille et une nuits de nos pays d’Orient. L’Orient excite peut-être la curiosité du monde entier et attire beaucoup d’Occidentaux par sa magie et sa splendeur. Cependant, l’Orient d’aujourd’hui n’est pas celui qui est inscrit dans une mémoire type. Souvent, lorsque nous entendions jadis des nouvelles de Bagdad, nous laissions courir notre imagination en nous faisant la réflexion suivante : si Schéhérazade vivait de nos jours à Bagdad, elle aurait peut-être demandé l’asile à un pays sûr.
Votre pièce intervient à l’ombre de ce qui se produit comme émigration massive de Syrie. Traite-t-elle spécifiquement des Syriens ?
Ce qui frappe nos proches en Syrie est très malheureux et douloureux. Cependant, notre pièce porte sur l’homme en général, contraint d’émigrer et d’abandonner son pays, et sur la dureté de la guerre et de ses répercussions. Cela peut arriver – et se produit aujourd’hui encore – dans plusieurs lieux. Cela pourrait être au Yémen, à Gaza, au Liban-Sud, en Colombie ou à Alep.
Peut-on, à votre avis, aborder une question aussi dure que celle de l’émigration avec un style parfois humoristique, comme vous l’avez fait ?
Oui, cela est possible, et c’était voulu dans notre représentation. Nous avons voulu autant que possible poser le problème de manière artistique et humain, pour nous assurer que nous nous adressions aussi bien au cœur qu’à la raison du spectateur. Nous avons voulu être au plus proche du cœur du spectateur, et non pas poser une question tragique à travers une approche dramatique qui la rendrait plus douloureuse encore. Cela dit, la troupe compte parmi ses membres un certain nombre de réfugiés – et j’en suis moi-même, malheureusement.

A+
A-
share
Les plus vues ce mois-ci
décembre 10, 2024 par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 10, 2024
par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 07, 2024 par Naya Fajloun, Journaliste
décembre 07, 2024
par Naya Fajloun, Journaliste
Charger plus