Moi, Syro-libanais, au banc des accusés

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Posté sur déc. 01 2015 6 minutes de lecture
Moi, Syro-libanais, au banc des accusés
Lorsque nous étions enfants, dans la cour de l’école, l’instituteur nous expliquait et répondait de façon excédée à la question : pourquoi l’armée syrienne est-elle intervenue dans la guerre civile libanaise æ
Il me reste à l’esprit des expressions vagues comme l’arrêt du combat fratricide et la nécessité de préserver la paix civile. Ce qui est étrange, c’est que je me rappelle toujours ce discours, bien que quarante années soient passées. Je me rappelle du moindre détail. Plus tard, au fil des ans, j’ai fini par comprendre que ces expressions n’étaient qu’un prétexte de ce que nous n’osions pas appeler occupation et tutelle.
Cette occupation, que le régime syrien a défendue quarante ans durant, reste à mon avis une honte que nous ne pouvons nier. Elle a d’ailleurs régi ma relation personnelle avec le Liban.
En effet, j’étais parmi les Syriens qui se sont rendus le moins à Beyrouth. Bien que je ne fusse pas responsable, en tant que citoyen syrien, je n’avais aucune justification à avancer au sujet de l’ingérence de Damas dans la guerre libanaise et l’exploitation des divergences qui embrasaient les rapports entre les Libanais.
La vue des hommes politiques libanais se précipitant au palais présidentiel syrien ravivait mon sentiment de honte. Parce que je ne connais pas de mot moins sévère, je me suis renfermé sur moi-même et j’ai décidé que Beyrouth n’était pas ma ville préférée. Pendant des décennies, je ne m’y suis rendu que de rares fois, prétextant que cette ville n’était plus cette merveilleuse cité par laquelle tout écrivain syrien devait passer. Le sentiment de honte ne me quittait pas. Nous étions partie prenante dans la guerre civile libanaise et nous n’étions nullement des bâtisseurs de paix entre les différentes parties.
De longues décennies sont passées avant que les forces syriennes ne se retirent du Liban, à la suite de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Le spectacle du retrait me faisait également honte. Les soldats étaient vaincus et pauvres, alors que les banques libanaises et internationales gardaient respectueusement l’argent des officiers impliqués dans le trafic de la céramique, du tabac, du whisky et de tout ce qui pouvait faire l’objet de trafic. J’ai toujours pensé que cette histoire qui avait accompagné les jeunes de mon âge fourmillait de contradictions. Toutefois, la chose la plus dangereuse que j’ai découverte assez tôt c’est que la politique syrienne au Liban a empêché toute solidarité entre les Syriens qui s’opposaient à l’ingérence de leur pays dans les affaires libanaises et les Libanais qui ignoraient que le régime en Syrie ne signifie pas le peuple.
Une relation épineuse et ambiguë, bien qu’elle soit très claire. Il a fallu que la révolution syrienne éclate pour que ce mur, bâti quatre décennies durant entre Syriens et Libanais, soit brisé et que la réalité puisse émerger.
Ce mur a été brisé avec l’effondrement du mur de la peur en Syrie lors des toutes premières manifestations. L’idée d’un seul peuple dans deux pays commençait alors à germer. Une idée qui était toutefois différente de ce qu’on a essayé de promouvoir pendant des décennies, à savoir que les Libanais ne pouvaient rêver de liberté avant le changement en Syrie.
Les Libanais se sont divisés entre partisans et opposants à la révolution syrienne. C’était la seule image vraie des relations entre les deux pays depuis 1976, date à laquelle l’armée syrienne est entrée au Liban avec un accord arabe et international. L’image que se sont fait les Libanais du citoyen Syrien a été modifiée, passant de celle d’un occupant à celle d’un rebelle, d’une personne qui fuit le despotisme, d’un réfugié, d’un déplacé, d’un allié, d’un ennemi, etc.
De jour en jour, la nouvelle image des relations entre les Syriens et les Libanais devenait plus claire, effaçant l’ancienne perception. Ce qui s’est passé avec les réfugiés syriens, malgré toute la souffrance qui y est liée, a été le dernier coup porté à l’ancienne idée qu’avaient les Libanais du Syrien.
Oui, quatre décennies sont passées depuis ce matin dans mon école. Je ne peux pas oublier cette scène. Ni d’ailleurs bien plus tard celle du feu qu’on a mis dans les tentes des réfugiés et des insultes dont ils ont fait l’objet dans les camps et aux frontières. Ces images ne pourront pas être effacées de l’esprit des Syriens, surtout des réfugiés d’entre eux. Mais cette fois-ci la partie adverse est connue sans équivoque.
L’image n’a jamais été aussi claire. Elle constitue un bon début pour une nouvelle relation naturelle entre Syriens et Libanais. Après la fin de la guerre et avec la naissance d’une nouvelle Syrie démocratique, elle sera encore plus claire. Le plan des alliés changera et tout le monde se mettra à creuser l’histoire, cela étant une étape nécessaire pour se débarrasser des sentiments de regret.
Je ne suis pas naïf pour parler avec légèreté d’une histoire de quarante ans. Il s’agit de l’espoir d’où je puise la force pour m’exprimer et reconnaître que nous avons partagé une même histoire chargée de souffrance et de larmes. Il faudrait que nous partagions l’avenir en nous basant sur une purification de la mémoire et non pas en occultant ce qui s’est passé. Nous n’avons pas choisi, en tant qu’individus ou peuples de cette région, ce qui s’est passé. Lorsque nous tiendrons en main notre destin qui a été confisqué il y a cinquante ans, nous devrions avoir le courage de donner de nouveau un sens à notre vie. Nous partageons le même destin. La géographie ne peut pas effacer ce qu’a construit l’histoire ancienne et contemporaine.
Oui, il n’est pas facile de changer les sentiments collectifs des peuples. Mais dans le cas syro-libanais, nous devons croire que cela n’est pas impossible. Nous ne pouvons pas fermer les portes face au changement, qui ne va pas d’ailleurs pardonner à tous ceux qui ont été impliqués dans le meurtre d’un Libanais, d’un Palestinien ou d’un Syrien, et à tous ceux qui ont exploité une cause humanitaire, comme celle des réfugiés syriens, pour des calculs politiques réducteurs.
Le Libanais défend les Syriens au Liban quels qu’ils soient, parce que tout simplement il défend l’avenir de ses enfants et parce qu’il connaît les caractéristiques du même adversaire qui a réduit la Syrie et le Liban en ruines, monopolisé la définition du patriotisme, de l’histoire et de la géographie et transformé les deux pays en une décharge pour ses déchets.
La seule chose que je connais, c’est que désormais, pas un directeur d’une école primaire ne se mettra plus à justifier l’hégémonie d’un peuple sur un autre, sous un quelconque prétexte, notamment après la faillite de ce discours hypocrite qui nous a coûté tant de sang et de souffrances. Nous ne permettrons en aucune façon à un directeur d’école de nous mettre de nouveau au banc des accusés. Nous ne tolèrerons plus non plus les discours selon lesquels les réfugiés sont des ennemis dont il faudrait brûler les tentes, qu’il faudrait tuer, insulter et exploiter la situation désastreuse.
Oui, les dernières images de l’ancien tableau qui regorge de sang et d’hypocrisie seront effacées. Dans la nouvelle image, j’ai la grande satisfaction de ne pas être, une fois de plus, le Syro-libanais au banc des accusés.

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