C’est le deuxième projet que réalise Biladi au Liban avec des réfugiés syriens. La première version de « La Syrie dans mon esprit » se limitait à une journée consacrée à chaque école. En tant que tel, il est considéré comme le premier projet au monde pour l’éducation au patrimoine d’enfants réfugiés syriens.
Les formateurs ont été choisis dans l’équipe de « Ouyoun Souria ». Ils avaient auparavant subi une formation intensive de deux semaines, donnée par une équipe de spécialistes en pédagogie, psychologie, archéologie, histoire et patrimoine. Cette formation leur a inculqué les bases de l’éducation au patrimoine, du contact avec les enfants, ainsi que les outils pédagogiques ludiques et différentes compétences pratiques.
Le projet repose sur un nombre d’activités pédagogiques non scolaires, dont l’objectif est d’imprimer dans l’imaginaire de l’enfant des images de son pays, la Syrie, loin de la guerre et de la destruction. Il vise également à renseigner ces enfants sur leur identité syrienne et renforcer leur appartenance à ce pays, le patrimoine étant l’une des composantes de l’identité de tout peuple. À savoir que les enfants syriens réfugiés au Liban appartiennent généralement à l’une de ces deux catégories : soit ils ne connaissent pas du tout leur pays, soit ils n’en conservent que quelques images dans leur mémoire.
Les activités
Des jeux ont été spécialement conçus pour ce projet, de manière à ce qu’ils soient utilisés durant quatre journées consécutives, comme une sorte de voyage au gré du patrimoine syrien. Une carte géante de la Syrie a été créée pour s’adapter aux besoins des enfants suivant leur âge : ceux-ci se déplacent sur la carte, ils apprennent la géographie de leur pays par le biais d’illustrations simplifiées, représentant les montagnes, les fleuves, les plaines ou encore le désert. Les enfants parviennent à distinguer les paysages qui caractérisent les régions au moyen des couleurs utilisées, ils se déplacent entre les villes dont ils sont originaires en faisant bouger une petite voiture sur la carte.
Des photos de la faune et de la flore de Syrie sont ajoutées à l’ensemble, placées dans les régions dont elles sont caractéristiques. Sans compter des représentations de six sites archéologiques majeurs, que les enfants apprennent à connaître durant les quatre jours.
À titre d’exemple, les enfants ont réalisé des maquettes de la citadelle d’Alep et du Krak des chevaliers, en utilisant des cubes en bois et des socles faits en papier renforcé. Ils ont appris, grâce à deux cartes, l’une de la vieille ville de Damas, et une autre de la ville de Palmyre, les détails de ces deux cités. Quant aux « Nawahir » de la ville de Hama, ils les ont découverts grâce à une maquette en bois pédagogique.
L’acquisition de ces informations a été consolidée par des jeux qui ont servi à inculquer des connaissances aux enfants de manière directe. L’un de ces jeux est « Bingo », qui comporte des images détaillées de sites archéologiques syriens, ainsi que des cubes par le biais desquels les enfants ont pu découvrir des images des espèces végétales de Syrie.
Mais il est impossible de parler de patrimoine syrien sans évoquer le personnage du conteur (« hakawati »). Paré de ses plus beaux atours damascènes pour aller travailler, il traversait les contrées syriennes dans le but de relater ses histoires, et visitait les plus belles régions en y emmenant deux personnages, qui sont « Karkouz » et « Aawaz », dont les aventures ne manquent pas d’humour.
Le plus grand obstacle qui aurait pu entraver la réussite de cette activité était l’incapacité de visiter en vrai les sites syriens. Il a fallu pallier l’absence de visites par des documentaires d’une dizaine de minutes sur la Syrie, son patrimoine et ses us et coutumes.
L’étape préférée de tous, en fin de journée, était la fête, avec ses chansons et ses danses. Le projet a adopté des chants traditionnels, dont les paroles ont été modifiées pour servir les objectifs du programme.
La réaction des enfants et la réalisation des objectifs
Mohammad, l’un des jeunes bénéficiaires du projet, a dit à un formateur : « Quand je reviendrai à Alep, je me ferai photographier devant la porte de la citadelle et je t’enverrai la photo. »
Dans la phase de préparation au projet, l’idée que ce programme pouvait être douloureux pour les enfants était source d’inquiétude. Mais c’est le contraire qui s’est avéré vrai : ceux-ci ont très bien réagi aux enseignements, ils ont entonné les chants dès les premiers jours, ils étaient heureux. Ils ont même discuté avec leurs parents de ce qu’ils ont appris sur l’archéologie et le patrimoine naturel, leur demandant si tout cela était vrai.
L’une des éducatrices d’AVSI déclare : « Après la fin du programme, tous les exemples cités par les enfants portaient sur la citadelle d’Alep, les « Nawahir » ou d’autres histoires et informations qui leur ont été inculquées à travers le jeu et les cartes. Cela nous paraît très positif. Nous aspirons à profiter de cette technique pédagogique, et nous inspirer des idées de ce projet sur la Syrie pour nos programmes. »
De son côté, un formateur précise : « Les enfants ont fini par se définir suivant leur région de provenance, alors qu’auparavant, ils ne mentionnaient que la ville ou le village libanais où ils étaient nés. En réalité, ils ont appris à mieux connaître le lieu d’où ils sont originaires, après qu’il leur semblait flou et sombre, dominé par la guerre. »
L’impact du projet a également été considérable sur les formateurs eux-mêmes. Ils ont dorénavant le souci de réaliser ce projet à un niveau plus vaste, et de pouvoir l’appliquer un jour en Syrie, après la fin de la guerre.
À l’issue du programme, dans chaque centre, il se trouvait des enfants qui nous racontaient qu’après leur retour en Syrie, ils comptaient visiter Ougarit à Lattaquié, ou la citadelle d’Alep, ou faire une promenade à dos de chameau à Palmyre, ou encore nager près des Nahawir de Hama. Ils se sont mis à réfléchir sur, par exemple, ce qui distingue les pommes de Damas des autres pommes dans le monde.
L’une des personnes qui supervisaient le programme pour le compte d’AVSI nous confie : « Ce projet a beaucoup marqué ma mémoire de Libanaise. Je suis désormais curieuse de découvrir Damas, Alep et d’autres villes syriennes. Si tel a été l’impact de ce projet sur moi, qu’en a-t-il été pour les enfants ? ».