Les artistes peintres et sculpteurs syriens ont, eux, emporté avec eux leurs toiles et leur matériel de peinture et se sont installés ici et là aux quatre coins du monde. C’est au Liban cependant, proche d’eux géographiquement et culturellement, qu’ils ont trouvé un refuge sûr et une plate-forme idéale pour mettre en valeur leurs œuvres.
Il est vrai que le prix de la guerre a été lourd pour tous les Syriens, artistes peintres et sculpteurs compris, mais la capitale libanaise, artistiquement très dynamique, a pu contribuer au rayonnement de la peinture syrienne, au-delà des frontières du pays voisin meurtri.
Depuis le début des hostilités en Syrie, en 2011, le Liban a été le théâtre d’une activité artistique syrienne intense, à cause de l’exode des artistes damascènes et aleppins et de l’absence d’activités culturelles en Syrie. Deux galeries beyrouthines et deux autres syriennes ouvertes dans la capitale libanaise ont accueilli les œuvres de ces derniers.
Un intérêt libanais accru
Il faut dire que Beyrouth a de tout temps constitué une plateforme importante pour les artistes syriens. L’intérêt porté à ces derniers s’est cependant accru depuis le début de la guerre en Syrie. Même si la Galerie Ayyam – dont les activités se concentrent actuellement à Beyrouth et à Dubaï, après la fermeture de ses portes à Damas – reste le principal pôle d’attraction de nombreux artistes syriens, sa directrice à Beyrouth, Rania Mounzer, constate que l’intérêt porté aujourd’hui par les galeries libanaises aux artistes syriens a relativement régressé alors qu’il fût un temps où elles se les disputaient presque.
Établie au Liban depuis 2006, l’artiste peintre irakienne Leila Kubba, propriétaire de la galerie Artspace à Hamra, fait état en revanche d’une certaine focalisation sur les artistes syriens, dans la capitale libanaise. « Je reçois tous les jours à la galerie, des artistes qui viennent de Syrie et qui s’établissent au Liban. Idem pour les artistes irakiens qui cherchent des plateformes pour y exposer leurs œuvres ». Quant à Marc Hachem, propriétaire de la galerie du même nom, et qui a commencé en 2004 à s’intéresser aux peintres syriens, il note que « les œuvres de ces derniers ont commencé à attirer l’attention des grands collectionneurs de toiles ».
En 2011, Chadi Abou Saada (32 ans) rassemble ses toiles et quitte Souaida pour s’installer à Beyrouth. Diplômé de la faculté de peinture et de photographie de l’Université de Damas, il prend part à des expositions collectives et individuelles dans la capitale libanaise. « Le Liban est le pays le plus proche du modèle syrien, aux plans linguistique et géographique, surtout avec sa nature, ses montagnes et ses vallées. Cet environnement me convient, beaucoup plus qu’ailleurs », fait-il remarquer.
Quant à l’artiste peintre Tarek Btayhi, il s’est installé à Beyrouth en 2012, « à cause des circonstances » en Syrie. Lui aussi a participé à des expositions collectives. Il en a également organisé deux à titre individuel.
Une plateforme pour un nouveau départ
« Les conditions de la guerre favorisent la création », note Tarek Btayhi. « Certains artistes étaient inconnus en Syrie mais ont réussi à se faire connaître en dehors de ses frontières », explique-t-il.
Il reste que parmi les artistes qui se sont établis à Beyrouth, certains ont fini par se rendre à Dubaï, en Allemagne et aux Pays-Bas, souligne Rania Mounzer. Parmi eux, certains collaborent avec la Galerie Ayyam, comme Nihad el-Turk, qui s’est rendu à Londres, grâce au soutien des Nations Unies et Oussama Diab qui s’est établi depuis quelques mois aux Pays-Bas. D’autres ont été dans les pays du Golfe ou en Europe, et d’autres encore sont restés à Beyrouth comme Abdel Karim Majdal al- Beik et Kaïs Salman.
Marc Hachem considère que la guerre en Syrie a « mis facilement en relief la puissance d’expression de ses artistes ». Il constate dans les peintures de ces derniers, « de la souffrance, de la frustration et de la mélancolie », avant d’affirmer noter une « renaissance artistique arabe à laquelle contribue considérablement l’artiste syrien ».
D’ailleurs, des différences dans certains détails précis peuvent être décelées dans les peintures à l’huile d’un même peintre, avant et durant la crise en Syrie. « Un artiste ne peut pas mentir, observe Chadi Abou Saada. Il doit être sincère dans ses toiles ». Et d’ajouter : « Depuis que j’ai obtenu mon diplôme en 2008, je travaille les ombres. Au début, elles étaient grises. Aujourd’hui, elles sont blanches et les personnages sont noirs ». Le jeune artiste décrit ses toiles en ces termes : « Elles recèlent la joie et la tristesse et reflète des scènes de rue ».
Depuis qu’il a obtenu son diplôme en 2005, Tarek Btayhi s’est concentré sur le thème de la femme. Mais la plupart de ses peintures aujourd’hui parlent de guerre. Il considère que Beyrouth constitue une terre fertile pour son travail, « en raison de l’importance du mouvement et de l’ouverture qui la caractérisent ».
Une des publications de la galerie Ayyam, « Syria’s Apex Generation », préparée par sa directrice artistique, Maymanah Farhat, propose une comparaison entre les œuvres de cinq artistes peintres avant et durant la guerre en Syrie. Il s’agit de Mohannad Orabi, Nihad al-Turk, Kaïs Salman, Abdel Karim Majdal al-Beik et Osman Moussa.
Maymanah Farhat y aborde également l’histoire de l’art plastique en Syrie depuis ses débuts sous l’empire ottoman jusqu’à aujourd’hui, en passant par le mandat français puis par la création d’une faculté de peinture et de photographie à l’Université de Damas, dans les années soixante.
Rania Mounzer explique dans ce contexte que « Nihad al-Turk employait à titre d’exemple des couleurs foncées lorsqu’il se trouvait à Damas puis ses toiles sont devenues colorées depuis qu’il s’est établi à Beyrouth ». « La première année passée dans la capitale libanaise a été dure pour les artistes syriens, ce qui a affecté leurs œuvres. Certains ont pu se surpasser et d’autres sont passés par une période de confusion et ont eu le sentiment d’être dans une impasse. Ils n’ont pas réussi à évoluer vers une étape ultérieure ou ont eu besoin de plus de temps pour s’adapter et se lancer dans une nouvelle idée ou une nouvelle exposition », poursuit-elle, avant de commenter : « Chaque artiste réagit à sa propre façon à une situation ».
Selon Rania Mounzer, chaque peintre a son histoire et son expérience. Le jeune Abdel Karim Majdal al-Beik a ainsi créé une toile gigantesque de cinq mètres qu’il a intitulée « La Syrie en flammes » et qu’il a truffée de symboles tels que des couteaux en y mélangeant des tissus pris des tentes des soldats.
Chadi Abou Saada trouve pour sa part de nombreux points communs entre les artistes syriens et libanais « dans la mesure où nous évoluons pratiquement dans un même environnement ». « Le Libanais est cependant plus ouvert sur l’Occident alors que nous restons plus penchés vers notre culture orientale », constate-t-il. « La Syrie est ma patrie et je ne m’en passerai pas », enchaîne-t-il. Quant à Tarek Btayhi, il affirme : « Je reviendrai sûrement dans mon pays. Beyrouth deviendra mon lieu de résidence secondaire, mon deuxième Damas. Nous quittons Beyrouth mais elle nous manque ».