Beyrouth et le périple du « Vendeur de bagues »

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Posté sur mars 01 2016 5 minutes de lecture
Beyrouth et le périple du « Vendeur de bagues »
Nous formons tous, compte-tenu de nos pensées, des entités constituées d’idées préconçues et fondées sur ce que les sens captent.

Limage de Beyrouth est bien ancrée dans la mémoire de tous les Syriens, qui ont pris le temps d’écouter et de lire lart du Liban. Dans leur imaginaire qui a failli devenir une certitude, Beyrouth représente spécifiquement le chemin pour le périple de « Biye3 el-Khawatem »* (Le vendeur de bagues).

Je retenais par cœur et je retiens toujours les pièces de théâtre des Libanais, sans en omettre le moindre détail, notamment lorsque jai décidé de fuir chaque « Rajeh »* qui sévissait dans le pays.

Dans ma mémoire, ce nom est devenu celui de plusieurs milliers dassassins dont jignore les noms. Jignore non plus comment ils ont été capables de tout ce mal. Je sais seulement quil sagit sans doute du résultat de nombreuses années de terrorisme pratiqué sous toutes ses formes, face à lignorance, aux larmes des pauvres et au sang des victimes dhumiliations depuis deux guerres ou plus. Certains parmi nous avaient fui au-delà des « Jbel el-Souwen »* (Montagnes de silex), mais dautres navaient pas réussi à aller au-delà du seuil dune cave de torture ou dune tombe, tandis que dautres encore sont arrivés (au Liban) là où leur mémoire abonde en images tirées de « Nawatir el-Talj »* (Les gardiens de la neige) et de « Chouyoukh el-Marajel »* (Les héros) tels que je les écoutais. Cest donc là où je suis arrivé et où jai pu reprendre mon souffle, qui se coupait à chaque fois que jarrivais à un point de contrôle syrien avant Masnaa (le point de passage frontalier entre le Liban et la Syrie) et peut-être même après.

Mes vingt années antérieures à ce chagrin auraient pu s’écouler paisiblement, silencieusement. Certains parmi nous ont provoqué le bruit et se sont laissés façonner par le bruit. Il leur a appris à dire devant tout ce vacarme : « Non au silence des agneaux ».

Depuis des années, je constate une flagrante analogie entre mon être et celui des habitants de cette partie de la terre. Des années faites de meurtres similaires à la façon avec laquelle ils vont mourir un jour. Leur mémoire abonde de noms de défunts et de personnes portées disparues ou poussées à lexode.

Ils ont apprivoisé le chagrin plus que nous mais expriment tout comme nous, sauf lamour. Je ne sais pas comment je suis arrivé des « Souhoul el-Dabab » (Les plaines du brouillard, en allusion à la Syrie), plein de suspicions pendant que je frayais mon chemin parmi des gens qui scrutaient ce « Rajeh » venu dailleurs. Ils croyaient que je le portais en moi. Pour eux, tous mes compatriotes sont des « Rajeh », à lexception de ceux qui parviennent à les convaincre quils ont renoncé au mal ou quils ne lont jamais endossé.

Mon espoir dune paix spirituelle sestompait à chaque fois que je rencontrais une personne persuadée que rien de bien ne pouvait émaner dun « Rajeh » ou de quelquun qui venait de là-bas (la Syrie), ce là-bas envahi de chagrin à cause des enfants et des familles qui fuient vers des lieux plus sûrs, là où lon peut comprendre le loup et lagneau sans préjugés.

Je suis arrivé depuis deux ans (au Liban), et j’étais contraint dabandonner mes rêves et de chercher du travail dans les rues et les places de Beyrouth. Ma quête ma rapproché des gens et de la pierre. Elle ma permis de faire la connaissance de personnes formidables, avec qui je partage la même mémoire et le même présent. Leurs souhaits ressemblent aux miens. Ils ont comme moi deux centres dintérêt. Jai fusionné avec ce peuple au point de sentir que la terre ici, nous unit plus que là-bas, là où je cherchais une lueur despoir cachée dans des noms enfouis dans ma mémoire, mais qui sont devenus ceux de mon présent : Dora, le pont Barbir et Achrafieh ou encore la rue Hamra qui ne se lasse pas de nos pas, nous unissent. Il y a aussi les théâtres sur les planches desquels s’étaient tenus des personnages qui avaient forgé ma mémoire de cet endroit, Beyrouth, le Beyrouth de tous.

Je suis désormais persuadé que les gens ne se ressemblent pas, que si nous avons faim, cela ne signifie pas queux sont rassasié; mais nous inter-réagissons. Ils se préoccupent de nous et nous deux. Nous formons une même entité. Il y en a parmi nous qui les haïssent et ils y en a parmi eux qui nous détestent. Nous partageons la même terre, le même vent et la même eau. Nous avons peur comme eux, de la mort, de lexode et de ceux qui nous surveillent la nuit. Ils nous tendent la main pour nous aider et nous leur tendons une seule ou de petites mains qui ne suffisent pas pour apporter de laide.

Depuis que je ne fais plus quun avec la chaleur des rues et que je surmonte mon chagrin dans ma chambre, jen suis arrivé à réaliser que chaque individu qui vient de « Souhoul el-Dabab » finit par réaliser que le voile qui bouche notre vue et la leur est constitué en réalité didées préconçues et périmées au même titre que leur « Rajeh » et le nôtre.

* « Le vendeur de bagues » : une opérette et un film des frères Rahbani.

* Rajeh : un personnage fictif de lopérette « Le vendeur de bagues » présenté comme étant un bandit. Il est créé par le maire dun village qui voulait senorgueillir dexploits fictifs. Dans un des tableaux de lopérette, un vrai Rajeh fait son entrée sur scène, mais il sagit dun marchand de bagues qui torpille les efforts de ceux qui voulaient profiter de son personnage pour intimider les villageois.

* « Jbel el-Souwwen » : une opérette des frères Rahbani.

* « Nawatir el-Talj » : une chanson tirée de lopérette « Le vendeur de bagues »

* « Chouyoukh el-Marajel » : une chanson tirée de lopérette « Loulou » des frères Rahbani.

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