Au revoir Beyrouth : la guerre en Syrie vue de l’autre côté du miroir

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Posté sur mars 01 2016 9 minutes de lecture
Au revoir Beyrouth : la guerre en Syrie vue de l’autre côté du miroir
L’histoire se déroule à Beyrouth, durant la période où la révolution en Syrie se transformait dans la douleur en une guerre brutale sur plusieurs fronts, qui finira par tuer plus de 250 000 personnes et forcera la moitié de la population à fuir son habitation.

La guerre nest pas finie, mais cette période est révolue. Le conflit, qui avait dépris une tournure régionale, a sans aucun doute pris une envergure mondiale avec le groupe État islamique menant des attaques meurtrières à Paris et en Californie, et la Russie, parrain du régime, rejoignant une multitude de pays qui bombardent différentes régions de la Syrie.

De nombreuses séances de pourparlers de paix ont jusqu'à présent échoué, mais à lheure où j'écris ces lignes, un cessez-le-feu sans précédent est entré en vigueur le 27 février et a permis aux manifestants de retourner dans les secteurs contrôlés par l'opposition, soumis pendant des années à des bombardements pour avoir appelé à la chute du régime. Avec des millions de personnes déplacées, des milliers dhabitations et de moyens de subsistance détruits, les Syriens sont au moins en mesure de respirer pour la première fois, pendant que le conflit international qui les tient en otage prend une pause.

Mais remontons le temps pour un instant et parlons damour. Oui, vous lavez bien lu. Cela faisait quelques mois seulement que mon fiancé, Mohammad Ghannam, et moi nous nous sommes rencontrés lorsque nous avons quitté ensemble Beyrouth, en mars 2015. Je savais que je prenais un risque, mais cela mavait paru bien. J’étais folle amoureuse de ce journaliste palestino-syrien. Il représentait tout ce dont je rêvais. Il avait les cheveux longs, une jolie étincelle brillait dans ses grands yeux marron. Il avait aussi un merveilleux sens dhumour. C’était un être sensible et il aimait faire la fête.

Pour cela, il navait guère dautres choix que de partir.

Il avait été incarcéré pendant plus dun an en Syrie, endurant plusieurs mois de torture, pour avoir rejoint et documenté les manifestations pacifiques anti-régime. Il a été relaxé en juin 2013 et a filé droit vers le Liban où – à linstar de plus dun million de Syriens il pensait quil pourrait être en sécurité.

« Tout a bien commencé ». Je navais jamais eu la chance de découvrir Beyrouth, bien quelle soit tout proche de Damas. Javais beaucoup entendu parler de cette ville « haute en couleurs, où il y avait de la liberté, de lart, de la musique et de la bonne nourriture », ma dit Mohammad dans notre appartement à Paris, en tirant sur son narguilé fabriqué en Syrie, quil avait acheté quelques jours avant de quitter Beyrouth.

Il travaillait au New York Times. Ses meilleurs amis ont déménagé de Damas à Beyrouth. Ensemble, ils ont découvert lun des meilleurs endroits au monde pour faire la fête. Ils se sont adaptés rapidement à leur nouveau chez-soi. Les barrières culturelles étaient peu nombreuses et la ville, qui avait accueilli pendant des décennies vague après vague des exilés politiques, est devenue cette fois-ci une plaque tournante pour les activistes, artistes, musiciens et journalistes syriens.

« Nous avons vécu de beaux jours. Jai rencontré des gens merveilleux qui mont changé et mont aidé à devenir la personne que je suis aujourdhui, a-t-il dit. Jai pensé que jallais habiter Beyrouth trois ans au maximum et que le régime allait tomber. Jai pensé que jallais rentrer en Syrie plus tôt que tard. »

« Dune chenille à un papillon »

Mais la situation en Syrie prit une autre tournure, de même quau Liban. Un an après son arrivée, Ghannam a reçu lordre de partir.

Il n’était pas le seul à vivre une relation fusionnelle de courte durée avec Beyrouth. Cela était aussi arrivé à mon ami Mohammad Nour al-Akraa, un activiste originaire de Homs, devenu journaliste. Il avait seulement 21 ans lorsquil avait fui, à linstar de milliers de ses amis et voisins, le district de Bab Amr qui était retombée aux mains du régime au début de 2012. Akraa est arrivé au Liban en état de choc, mais il était heureux. Il avait dévisité le pays en 2008. Parlant au téléphone depuis son nouvel appartement à Berlin, il a confié quil avait goûté alors à la liberté pour la première fois de sa vie.

« Je me rappelle encore cette sensation, cest comme si mes poumons ne suffisaient pas à contenir lair qui les remplissait », avait-il confié. À Beyrouth, lui aussi avait trouvé comme journaliste. Il sest fait des amis dans le monde entier. Il sest transformé dun petit enfant timide en un jeune citadin sûr de lui-même. Ou comme il le dit, dune façon plus jolie : « En Syrie, j’étais une chenille. À Beyrouth, je suis devenu un papillon. »

Il a fallu près de trois ans, et beaucoup de hauts et de bas, pour que le gouvernement libanais commence à rendre la vie difficile aux Syriens. Jusque-là c’était officiel : le Liban accueillait le plus fort taux de réfugiés par habitant.

Des centaines de milliers dentre eux vivaient dans une misère totale, un semblant daide leur parvenant dans les camps improvisés un peu partout dans le pays. Les enfants travaillaient dans les champs de pommes de terre moyennant 7 dollars par jour. Ils étaient laissés sans éducation. Les gens vivaient sous des tentes fragiles et supportaient la neige en hiver et la sécheresse en été.

Mais parallèlement à la tragédie, un flux de jeunes étaient venus sinstaller à Beyrouth, débordant d’énergie créative et de volonté daider. Dans la capitale libanaise, ils faisaient la fête, rencontraient des gens de différents pays du monde et discutaient ouvertement peut-être pour la première fois de religion et dathéisme, de sectarisme et de politique.

Les musiciens syriens ont joué avec les artistes libanais, donnant naissance à une explosion de créativité qui nous a poussés tous à danser un week-end après lautre. Des couples sont tombés amoureux. Certains se sont mariés au cours de cérémonies nuptiales où les invités entonnaient des chansons et scandaient des slogans révolutionnaires entendus pour la dernière fois à Alep ou à Homs. Dautres se sont séparés, les pressions causées par lexil étant devenues trop lourdes à supporter. Au cours de l’été 2014, jai commencé à entendre davantage de gens répéter quils navaient dautres choix que de partir.

Ghannam et Akraa, acculés au mur, figuraient au nombre de ces personnes. « Jai essayé de me trouver une maison et de me procurer un permis de travail auprès des autorités, mais ils ont refusé », a dit Ghannam, soulignant quon lui a expliqué qu’étant Palestinien, il nest pas autorisé à exercer le journalisme au Liban.

« Jai cru que ma vie était finie », a-t-il confié, expliquant que dautres pays hôtes comme la Turquie, l’Égypte ou la Jordanie lui refuseraient également lentrée pour la même raison : son ascendance palestinienne.

Du rêve au cauchemar

Akraa a lui aussi déployé des efforts considérables pour renouveler son permis de séjour, mais en vain. « Beaucoup de personnes ne comprendront pas ce que je vais dire, mais franchement, il était plus dur pour moi de quitter Beyrouth que Homs », a-t-il dit.

Les mois qui ont précédé leur départ, ils ont vécu dans la peur de tomber sur un homme en uniforme. Ils craignaient non seulement larrestation, mais aussi le rapatriement forcé. Leur rêve sest transformé en un cauchemar marqué par des sentiments de rejet et de claustrophobie, sans aucun doute aggravés par les vieilles blessures des événements dont ils ont témoignés et soufferts en Syrie. La souffrance sest poursuivie jusqu’à ce quils aient reçu leurs visas leurs billets pour lavenir.

C’était le 1er mars 2015 une date que je noublierai jamais lorsque Ghannam et moi avons pris ensemble lavion pour Paris. Pour moi, cette nouvelle aventure avec lamour de ma vie ma paru comme un extraordinaire cadeau que moffrait Beyrouth, la ville que jaime et hais à la fois, dans laquelle mes parents ont grandi et quils ont quittée durant la guerre civile. Quelques mois plus tard, Akraa sest rendu en Allemagne. Nous sommes restés en contact. Il a dit quil était encore tôt de parler de sentiments dexil. Il a retrouvé dautres amis syriens qui se sont également rendus en Allemagne. Il rit en disant que « le narguilé à Berlin est moins cher qu’à Beyrouth ».

Mais avançons rapidement vers la fin de l’été 2015, le pic de la crise des migrants. Chaque jour, des milliers de déplacés gagnent les côtes de la Grèce et de lItalie dans des barques surchargées. La majorité dentre eux étaient des Syriens, suivis par des Irakiens, des Afghans et des ressortissants dautres pays embourbés dans la pauvreté et linsécurité.

LAFP ma envoyée dans deux missions que je noublierai jamais. Dabord, jai passé deux semaines dans l’île grecque de Kos et puis jai emprunté la soi-disant route des migrants via les Balkans, sur les pas dun couple irakien et de leur nourrisson de trois mois, Adam, alors quils se rendaient en Europe de lOuest.

Parmi les personnes que jai rencontrées au cours de ces deux missions, nombreuses étaient celles qui avaient des histoires similaires à celles de Ghannam et Akraa bien que ces derniers ont eu la chance de se rendre en Europe en avion.

Beaucoup de réfugiés ont enduré et témoigné dune violence horrible et dune persécution, non seulement en Syrie, mais également en Irak et en Afghanistan. Les Syriens, eux, ont fui tous les aspects de la guerre : rebelles, jihadistes, larmée du régime, les forces kurdes. Ma mère mavait appris que la guerre est folle. Ses mots nont jamais sonné plus vrais, alors que je voyais des familles entières dormir sur la plage dans des tentes fragiles, attendant la permission pour pouvoir poursuivre leur chemin.

En Europe, beaucoup de personnes ont accueilli les migrants, ayant compris instinctivement que sils avaient risqué leur vie et franchi frontière après frontière pour arriver ici, cest quils ont de bonnes raison de fuir. De nombreuses autres personnes les ont en revanche accueillis froidement, mettant à l’épreuve l’âme du continent.

Malgré les énormes difficultés dadaptation encore une fois – à un nouveau pays, Ghannam et Akraa restaient optimistes. Tous deux avaient un bon travail. Ils accomplissaient aussi un énorme progrès dans lapprentissage de la langue.

Quant à moi, je suis très heureuse dans ma nouvelle vie avec mon futur mari à Paris, mais je pense souvent à Beyrouth. Heureusement pour moi, je peux la visiter quand je veux. Beaucoup de Syriens qui ont profondément aimé la ville ne sont plus autorisés à sy rendre. « Nous avons perdu Beyrouth », dit Akraa, dune voix tremblante marquée par une nostalgie aigre-douce. « Beyrouth nous a perdus », affirme Ghannam sur un ton de défi.

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