Les réfugiés syriens aux yeux des médias

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Posté sur mars 01 2016 6 minutes de lecture
Les réfugiés syriens aux yeux des médias
© Anwar Amro
Elle s’appelle Reem et elle a dix ans. Elle vit dans un camp sauvage de la Békaa-ouest. Elle se souvient bien de la Syrie.

Audacieuse, elle rêve de devenir journaliste. Reem attend que le reporter lui pose des questions, pour lui dire quelle déteste tout ici, elle déteste vivre dans des tentes, passer les fêtes loin de son pays. Elle est consciente des efforts que font ses parents pour lui donner un peu de joie. Ils nont en effet pas dargent, ils sont confinés dans ce camp : si son père en sort, il ne pourra plus rentrer parce que ses papiers ne sont pas en règle. Et si sa mère quitte le camp, elle ne pourra probablement pas lui acheter des cadeaux parce que ceux-ci coûtent trop chers ou parce quelle pourrait être harcelée en route. De plus, les Syriens ne sont pas autorisés à circuler passé une certaine heure. Reem, du haut de ses dix ans, est bien consciente de tout cela. Elle sait quon essaie de lui communiquer un peu de bonheur, malgré tout. Mais elle ne veut rien de tout cela, elle veut rentrer en Syrie.

Elle dit tout cela puis elle sempare du micro, posant à son amie la même question qui lui a été posé: es-tu heureuse aujourdhui ? Son amie hésite à répondre. Reem lui lance alors : Tes paroles à toi ne seront pas retransmises à la télé, dis-moi ce que tu as sur le cœur.

***

Les Syriens sont le centre dintét des médias depuis quils ont commencé à affluer au Liban, fuyant la mort qui les menace dans leur pays du fait de la violence qui na fait que sintensifier. Les sujets nont pas manqué : le débat autour de leur statut de déplacés ou de réfugiés, les recensements et les besoins, les moyens de les assimiler au sein de la société, les mesures de contrôle de leur affluence, les limites imposées à leurs déplacements, les images dont on les a affublés, les allégations concernant leur influence négative sur les sociétés qui les ont accueillis, et jusquau rapprochement entre leur présence et les petits et grands problèmes dont souffre le Liban.

Les médias ont tantôt contribué à mettre en relief et consacrer ces sujets, tantôt à les esquiver ou les combattre. Ces contradictions ont instauré une relation très compliquée entre les réfugiés et les médias de manière générale. Bien que la crise ait trop duré, les réfugiés syriens ne se sont toujours pas habitués à la présence de ces individus parmi eux. En effet, au cours de cette étape momentanée, leur vie privée est étalée au grand jour par ceux qui cherchent des scoops par-ci et par-là.

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Il sappelle Alaa et il est vendeur de roses. Il a fui Alep avec sa famille. Son père ne peut travailler, faute de quoi il perdrait son droit aux aides démaigres puisquelles samenuisent peu à peu. Chaque jour, le garçon doit rentrer avec une somme dau moins soixante dollars, sil ne veut pas se faire gronder. Alaa refuse toutefois quon dise du mal de son père. Il laime, et il comprend quil loblige à travailler. Il se souvient quil y a quatre ans seulement, ce père, illettré, insistait auprès de sa mère pour quelle sassure quil avait fait ses devoirs avant de dormir. Mais aujourdhui, ils nont plus de maison, les loyers étant très chers à Beyrouth. Le retour en Syrie nest pas envisageable dans un avenir proche. Voilà pourquoi le travail de Alaa est provisoire, comme lest le séjour au Liban.

Lors dune pause sur la corniche de Raouché, le petit garçon contemple les scooters de mer qui traversent le tunnel sous la Grotte aux pigeons. Il se tourne vers moi et me demande : combien de roses est-ce que je dois vendre pour acheter un scooter comme celui-là ?

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Ils avaient dabord cru que nous, les journalistes, pourrions alléger leurs souffrances qui augmentaient dannée en année. En même temps, ils craignaient tout contact avec nous, qui que nous soyons.

Pour toutes ces raisons, la confiance est la clé pour briser la glace. Et le Syrien réfléchit à deux fois avant de décider si la personne en face de lui mérite quil lui livre cette clé aussi rapidement. De nombreuses questions lui viennent à lesprit : pourquoi je vous raconterais ma vie ? Avez-vous la possibilité de trouver une solution à mes problèmes ? Quadviendra-t-il de moi quand vous aurez publié votre sujet ? Comment puis-je massurer que les paroles que vous avez prononcées pour me rassurer sont sincères ? Comment utiliserez-vous mon histoire après cela ? Est-ce que je regretterai de vous avoir parlé ? Allez-vous demander de mes nouvelles après que je vous aurai livré mon histoire ?

***

Son mari a été arrêté durant leur fuite dans le rif de Homs. Elle était alors enceinte de leur cinquième enfant, un bébé qui naîtra par la suite au Liban. Elle peine à l’éducation de ses quatre frères et sœurs. Ils vivent tous sous terre, dans un complexe abandonné, au Liban-sud. Cest comme sils étaient effectivement enterrés. Les agences chargées des secours ne leur ont pas rendu visite une seule fois en deux ans. Quand vous lui demandez ce dont sa famille souffre le plus, la mère vous répond que ses enfants ont besoin de soins. Les médecins ici nous exploitent, dit-elle, ils inscrivent nos noms sur les listes des organisations internationales sans même nous donner les médicaments qui nous reviennent. Et ils croient que nous ignorons ce quils font. Ils comptent transformer notre vie en enfer. Nous ne voyons pas le soleil, nous navons pas deau potable ni de nourriture en quantité suffisante. Je jure que la mort sous les bombes est plus supportable que ce que nous vivons ici. Elle se tait soudain, avant de reprendre : Je vous en prie ne montrez pas mon visage. Je nai peur de personne, mais jai peur pour mes enfants.

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Cest au terme de nombreuses expériences que les Syriens ont fini par sentir que ces créatures quon appelle journalistes ne traitent pas avec eux comme des êtres humains. Avec le temps, ils préfèrent souffrir en silence plutôt que de nous montrer ce quils ressentent. Ils sont désormais convaincus que nous navons le pouvoir ni dalléger leur souffrance ni davoir un impact sur leurs conditions de vie. Malgré lespoir dune légère amélioration dans la situation dun nombre restreint de Syriens, jai bien peur, quand je les interroge, que leur scepticisme ne soit justifié. Souvent, leur voix ne trouve en effet pas d’écho.

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