Rentrer en Syrie, rêve suprême des réfugiés… n’était-ce l’insécurité La garantie, condition rédhibitoire, reste une formalité coûteuse pour les pauvres, et pénible pour tous

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Posté sur mars 01 2016 8 minutes de lecture
Rentrer en Syrie, rêve suprême des réfugiés… n’était-ce l’insécurité La garantie, condition rédhibitoire, reste une formalité coûteuse pour les pauvres, et pénible pour tous
© Dessin de Mohammad Khayata
L’année 2015 s’est achevée sur une mise en garde « diplomatique » libanaise contre l’implantation des réfugiés syriens au Liban.

Mais ceux qui connaissent la Constitution savent bien que le terme « implantation » est, par définition, banni de la réalité libanaise, stigmatisé par la Constitution.

Limplantation est en effet exclue du paragraphe « D » du préambule de la Constitution qui stipule que « la terre du Liban est une et indivisible et appartient à tous les Libanais... Il ny a pas de distribution de la population suivant quelque affiliation que ce soit, il ny a ni morcellement, ni partition, ni implantation ».

2015 s’était déouverte sur des mesures faisant assumer aux réfugiés Syriens de nouvelles charges financières et civiles. Cest ainsi que les frais de séjour individuel pour quiconque a dépassé l’âge de 15 ans ont été fixés à 200 dollars, sans compter les faux-frais denviron 75 dollars que la bureaucratie libanaise fait assumer pour le renouvellement du permis de séjour.

Ainsi, entre le premier de lan et sa fin, le drame de lexode s’était aggravé, bien que des voix pondérées aient tenté dinscrire les nouvelles mesures dans le cadre des intéts sociaux et économiques du Liban. À supposer quon ladmette, on ne peut ignorer que les épreuves des réfugiés se sont accentuées, à mesure que leur exil forcé se prolongeait.

Mais que pensent les Syriens eux-mêmes de ces propos sur limplantation, le travail et la possibilité de retour ? Comment se présente la situation des Syriens réfugiés aujourdhui au Liban ?

Pour Abdel Salam, qui habite au sous-sol dun immeuble commercial en construction à Jnah (banlieue-sud de Beyrouth), le grand problème de sa vie, déjà amère, cest celui du garant.

Il explique : « Cest pourquoi nous sommes parvenus à un arrangement. Chacun fait un effort en direction de la garantie que lon réclame, et nous remettons la somme à la personne la plus apte à assurer un travail stable susceptible dinspirer confiance au garant potentiel et de régler les frais du permis de séjour. Ceux qui en sont incapables, ainsi que les femmes et les enfants, sont condamnés à vivre sans statut légal ».

Naturellement, Abdel Salam souhaite rentrer chez lui. Qui ne le souhaiterait pas ? Il commente : « En Syrie, l’école et les frais de santé sont gratuits, alors quici nous payons cent dollars une chambre de 30 mètres carrés où lon sentasse vaille que vaille avec mon épouse, mes cinq enfants et mon neveu. On se passe du courant électrique, le plus souvent coupé, mais nous devons acheter leau potable. »

Pourquoi, dans ce cas, ne pas choisir d’être déplacé à lintérieur de son pays ? Réponse : « Nous lavons tenté, mais linsécurité nous a poursuivie. Ici, nous nous sentons en sécurité ».

Ce modèle sapplique à tous les réfugiés syriens dhumble condition et aux saisonniers. Leur obsession première est la sécurité, avant même la nourriture. Pour lobtenir, ils sont prêts à endurer lamertume de leur statut. On peut se faire une idée des épreuves à la seule vue des longues files dattente qui se forment devant les bureaux de la Sûreté générale, et des longues heures dattente quils doivent souvent subir à nouveau, le lendemain, pour pouvoir compléter leurs formalités.

Du reste, se retrouver dans une file dattente est un bon signe. Ça veut dire quon a trouvé un garant. Ce qui ne va pas de soi. La preuve, Mounzer, qui est gardien dimmeuble dans la banlieue-est de Beyrouth, na pu trouver de garant. Il na toujours pas « avalé » le fait quil en ait aujourdhui besoin, alors quauparavant, il pénétrait et sortait du Liban tout à fait librement. Le changement de situation la plongé dans la confusion, sachant que la promulgation de la nouvelle loi a modifié son statut, que sa résidence est désormais considérée comme illégale et quil vit comme en résidence surveillée, craignant de se déplacer, hors de son microcosme.

Cest dailleurs une leçon quil a retenue, puisquil a été arrêté une fois à un barrage et quil na dû sa liberté qu’à un indulgent « pour cette fois ». Mais « tant va la jarre à leau, qu’à la fin elle se casse », dit le proverbe.

Dans sa situation actuelle, Mounzer ne peut même pas songer à rentrer en Syrie. Il précise : « Où aller, jai trois enfants, deux filles scolarisées dans une école publique et un garçon encore trop jeune ». Il pense quon est encore loin dun règlement dans son pays, et cest pourquoi il a envoyé chercher sa famille.

Cela fait quatre ans quil na pas vu son village. Il ignore sil tient encore debout ou sil sest transformé en tas de décombres. Ce qui lattache au Liban, cest le sentiment de sécurité, même sil le paie cher. Lune de ses sœurs réside à Tripoli, mais il sinterdit de lui rendre visite et pour lui, lexil est exclu. Se déplacer entre la Syrie et le Liban est tout son horizon.

Mais les pauvres ne sont pas seuls à ressentir la morsure de ce changement de statut des réfugiés syriens. Il en va de même de cette femme aisée qui a choisi de trouver refuge au Liban pour protéger son fils du service militaire obligatoire et Syrie, et dont la fille est étudiante en médecine à lAUB.

Pour cette femme, qui parle sous le couvent de lanonymat, le souci premier nest pas la sécurité, mais la cherté. Cest ce qui la rapproche dune certaine façon, des Libanais. Voilà quelquun qui paie deux factures d’électricité et deux factures deau, sans compter le loyer mensuel de 1100 dollars de son appartement. Elle ajoute : « Malgré la guerre, la vie reste moins chère à Damas, et le plus difficile, cest que nos rentrées sont en livres syriennes, et nos dépenses en dollars ».

On la deviné, cette femme est aisée, elle fait partie de la classe moyenne relativement nantie, même si elle ne lavoue pas facilement. Essentiellement, la raison de cet exil forcé quelle simpose, cest le service militaire obligatoire qui attend son fils, dans un pays en guerre. Elle envisage un retour à Damas dici 18 mois, dès quelle aura mis de côté les 800 dollars représentant les frais de dispense du service militaire.

Elle précise que son fils ne désire ni rester au Liban, ni émigrer comme lont fait beaucoup de jeunes syriens et que, par exemple, il a laissé passer loccasion dun voyage en Allemagne. Et dajouter quil travaille en ce moment à son propre compte, exécutant quelques travaux qui lui sont confiés, mais quil ne gagne pas même la moitié de ses frais de séjour au Liban.

Elle souhaite rentrer avec ses enfants à Damas, dès que la question du service militaire sera réglée. Entre-temps, sa fille vit en résidence universitaire. Elle conclut : « La situation à Damas saméliore, et beaucoup y sont rentrés du Liban, d’Égypte et de Turquie ».

Le retour est donc en tête des priorités de cette dame, qui rêve de la fin du cauchemar de leffondrement de son ancienne sécurité sociale et économique. Mais alors quelle remercie le ciel de lui avoir épargné toute situation embarrassante durant son séjour au Liban, elle ne nie pas quelle a été gênée par les nouvelles contraintes relatives au permis de séjour.

Elle précise quun ami de la famille, un Libanais, sest porté garant pour elle et son fils, tandis que lUniversité a apporté cette même garantie à sa fille. Elle ajoute que le problème, avec la Sûreté générale, cest la cohue et le désordre et un sentiment dhumiliation. Un agent a même giflé, une fois, un Syrien qui lavait importuné à plusieurs reprises. Un véritable scandale.

La classe moyenne syrienne ne se plaint pas trop des mesures officielles libanaises, mais considère que le problème est dans leur application, assure Georges Halabi (70 ans), propriétaire dun appartement à Mansourieh (Mont-Liban) depuis plus de 20 ans, et dont la fille est mariée à un Libanais. Le problème est dans lapplication anarchique de ces mesures, qui lont placé à diverses reprises dans des situations embarrassantes, humiliantes. Il a fallu que son gendre se porte garant de sa personne et quil obtienne une carte de séjour annuelle, pour que les choses sarrangent.

Un autre cas aberrant : une femme qui possède une carte de séjour de dix ans en France, assure que son visa de séjour au Liban nest valide quun mois. Finalement, cest son gendre, le mari de sa fille, qui sest porté garant, ce qui lui a facilité ses déplacements entre Beyrouth et Damas. Voilà quelquun qui ne pense pas du tout à prolonger son séjour au Liban, mais qui ressent de la peine pour les réfugiés parqués dans des camps aux frontières. Pour elle, la guerre est moins pénible que lexode, et tous les Syriens devraient rentrer vers des régions sécurisées en Syrie.

Quant à Omar, qui travaille lui aussi comme gardien dans un immeuble de Beyrouth, l’émigration est le rêve inaccessible. « Je ne m’étais jamais attendu à finir comme ça, dit-il. Aucun des locataires de limmeuble, où je suis depuis dix ans, na accepté d’être mon garant. On ma traité comme si javais une maladie honteuse. Je nai pu me mettre en règle que grâce à un ami qui est sans doute encore plus pauvre que moi. On sest rendu à la Sûreté générale à quatre reprises et on a attendu des heures pour achever la formalité de garantie. Pour les privilégiés, quelques minutes suffisent ».

Omar ne veut pas rentrer en Syrie. Il dit : « Il ny a pas davenir en Syrie, ni pour moi, ni pour mes enfants. Mais il ne veut pas non plus rester au Liban. Il attend le bon moment et les bons papiers pour présenter une demande d’émigration vers un de ces pays qui respectent les droits de lhomme. « Et qui nhumilient pas ceux que le destin a déjà écrasés », dit-il plein de colère.

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