Cette expression implique l’idée que la culture de la tolérance est chose familière à la aux cultures arabes. En général, à l’appui d’un tel énoncé, sont produites des preuves tirées de l’histoire et de la tradition, mais dont les interprétations sont forcées pour les besoins de la cause, de façon à leur permettre de s’harmoniser avec une notion improvisée et distordue de la «tolérance» présentée comme une culture qui n’aurait besoin que d’être mise en lumière, pour devenir réalité effective. Tout cela au prix de confusions irresponsables avec d’autres notions, comme celle de pardon, de réconciliation, de miséricorde, de paix ou de l’Autre, pour ne citer que ces quelques concepts régulateurs de la conduite en société ou entre individus.
C’est ainsi que cette tolérance comme «culture» se transforme en une parole abstraite sans signification précise, précautionneusement approchée de manière à ne pas être exagérée et exploitée au détriment de la société qui l’a sécrétée (qu’on accuserait d’imiter l’Occident par exemple), réduite à n’être qu’une belle image, une culture hypothétique et souhaitable sans autre obligation de résultat.
Cependant, le débat sur la tolérance est l’un des plus centraux de la problématique de la croissance. Il l’est plus particulièrement dans une culture globale où l’Autre est perçu comme nuisible ou ayant l’intention de nuire, ou qu’il est non-crédible, de sorte que le grand débat s’enlise dans un pathos existentiel vain, pour renaître sous d’autres formes et avec d’autres critères, dans le souci obstiné de prouver que la tolérance existe comme culture et comme solution possible, dans des limites bien définies à certains problèmes de société, et pour la seule raison que ce terme existe dans la langue.
Mais ce potentiel d’interprétation expose le débat sur la tolérance à se situer dans un contexte de violence tel que les valeurs de la modernité sont refoulées, au profit des valeurs de la tradition, arbitrées à leur tour par un Sacré intangible.
Certes, il est difficile de nier la valeur humaine éminente de la tolérance, mais cette valeur reste exclusivement sociétale, car elle vise à servir les intérêts d’une société donnée. En d’autres termes, il s’agit d’un concept contemporain issu des Lumières qui n’apparaît pas comme déterminant dans les sociétés traditionnelles, où c’est la tyrannie, la discorde, le confessionnalisme et autres cancers qui lui sont substitués.
Partant, il semble illusoire, mensonger et trompeur de prétendre que la tolérance existe à l’état naturel dans les sociétés humaines. Car la tolérance comme valeur sociétale ne peut exister et perdurer en-dehors de l’égalité, de la liberté personnelle, de l’initiative personnelle et libre et de la dignité humaine. La tolérance, ainsi comprise, n’est pas une concession faite par une personne, une collectivité ou un courant idéologique, mais la manifestation d’une volonté de préserver des intérêts collectifs et d’offrir une solution dans des contextes difficiles et susceptibles de déboucher sur la violence, où la loi est incapable de faire son œuvre dans des délais raisonnables,
Résumons-nous. Il n’existe pas dans la pensée arabophone de définition de la tolérance, hormis des expressions comparatives, purement linguistiques ou encore des approches sentimentales, existentielles, à la gloire de la tradition. De telles définition valorisent la tolérance comme acte de bienfaisance et de pardon reposant sur la condescendance du vainqueur à l’égard du vaincu.
Tout cela nous conduit à nous interroger clairement et sans détour sur le concept de tolérance dans la société contemporaine. En examinant le binôme tolérance-vengeance, nous sommes conduits à nous interroger: quel tort le sunnite contemporain a-t-il fait au chiite contemporain ou vice-versa, ou bien le musulman au chrétien et vice-versa, pour que la tolérance soit de rigueur? Ou encore qu’ont fait les Espagnols pour que nous leur pardonnions (ou que nous ne leur pardonnions pas) d’avoir repris leur pays, une fois passée «la conquête arabe»?
Comment pardonner à quelqu’un un tort qu’il n’a pas commis, en présumant d’avance qu’il nous doit gratitude? Pour qu’en définitive nous découvrions que ce pardon, cette tolérance que nous croyions accomplie dans notre culture n’est qu’une profonde et inconsistante illusion...
Cette tolérance est pur mensonge et ignorance car, et la réalité est là pour le confirmer, nous ne pardonnons pas et ne faisons pas preuve de tolérance; en réalité nous n’avons pas d’espace sémantique ou logique où insérer la notion de pardon. Culturellement, nous n’avons pas «pardonné» aux Espagnols de nous avoir repris leur propre pays (et je le dis à titre d’exemple non exhaustif), et n’avons pas accordé notre pardon aux Francs pour leurs guerres, bien que nous ayons fini par les chasser, et les fils d’une même communauté ne se sont rien pardonnés, pour ne rien dire des différentes sectes et religions entre elles.
Comment, après cela, parler de la culture du pardon et nous gargariser de mots, alors que de simples différences sont prétextes à des règlement de comptes, que leur issue soit l’exercice de la tolérance, ou encore la punition et la vengeance, ou encore l’anéantissement…?
La tolérance ne saurait exister qu’entre sujets parfaitement égaux en droits, réellement et publiquement, et voilà ce qui manque radicalement à notre héritage et à notre culture contemporaine, où l’égalité est impossible, que ce soit du fait de législations distinctes, ou qu’elle soit absente de la Constitution ou des lois. C’est du moins ce que la pratique établit.
Hors de l’égalité, point de tolérance – et l’égalité est impossible, comme le montrent l’histoire des confessions, tribus, religions et sectes, sans parler de l’histoire des tyrannies. C’est pourquoi, la seule option possible réside dans l’adoption de la Charte des droits de l’homme dans les Constitutions et les lois (intégralement, et sans aucune exclusive cachée). Alors seulement pourrons-nous considérer la tolérance comme valeur sociétale, comme notion reposant sur un socle juridique clair et susceptible d’encadrer une évolution sociale vers une modernité effective, hors des dissertations théoriques et vides.
Car cette vertu échappe à toutes les définitions légales régulatrices de la vie en société en raison de la pléthore d’interprétations utilisée pour prouver son existence et la légitimer dans le patrimoine culturel. On peut même aller jusqu’à dire que c’est cette pléthore qui a induit les tueries auxquelles nous assistons au nom d’une illusion d’authentique enracinement dans les valeurs traditionnelles.
En réalité, il n’y a pas de tolérance et de pardon dans notre culture, ni comme vertu, ni comme valeur humaine fondée sur l’homme; il n’y a pas non plus de système juridique clair comparable à ce qui existe dans le patrimoine de l’humanité, et qui réglerait la vie des sociétés dont pourrait émaner un État.
Ce que nous voyons et vivons, c’est l’obstination et la détermination à entrer dans un âge des ténèbres long et sanglant, partant du fait que l’Autre est différent, et qu’il ne faut ni l’imiter, ni imiter son expérience humaine… Notre façon à nous, peut-être, de comprendre la tolérance!
La tolérance ne saurait exister qu’entre sujets parfaitement égaux en droits, réellement et publiquement, et voilà ce qui manque radicalement à notre héritage et à notre culture contemporaine, où l’égalité est impossible, que ce soit du fait de législations distinctes, ou qu’elle soit absente de la Constitution ou des lois