Une misère à se partager

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Posté sur juil. 01 2015 3 minutes de lecture
Une misère à se partager
Sa voix adorée me parvient à travers le téléphone, lointaine et profonde. Nos appels deviennent de plus en plus espacées, due surtout à mon sentiment de culpabilité quand je m’absente longtemps de la vallée qui était, un jour, verte. Sa voix bien-aimée me ramène aux ruelles vertes du village, aux visages de mes grands-parents disparus, mais habitant toujours l’âme, le cœur, la pensée et la conscience.
La voix de ma tante paternelle me semble bouleversée, quand elle répète: «Al Hamdoulillah», ni eau, ni électricité, prix révoltants, Roula tarde beaucoup au travail au «Comité de santé», elle se fatigue beaucoup désormais, en raison du grand nombre de réfugiés. Des villageois, sous éduqués, leurs épouses tombent continuellement enceintes, leurs enfants sont souvent malades, ils se contaminent les uns les autres à la vitesse de l’éclair».
Elle se tait, et je me tais en signe de protestation. Elle reprend la parole, comme si elle se parlait à elle-même: «Mais quand même, que Dieu les aide… Ils souffrent d’ignorance comme de pauvreté, de misère et de l’exil. Que Dieu nous épargne de telles épreuves. Mais nous aussi, nous vivons dans la pauvreté, le besoin et la misère, et nous sommes exilés sur notre propre terre depuis que nous y sommes».
Dans sa maison composée de trois chambres, elle vit avec son mari, les deux souffrant de maladies chroniques et douloureuses. Leur fille divorcée habite avec eux, en compagnie de sa fille adolescente. En fin de semaine, leurs fils et leurs familles arrivent de la banlieue de la capitale, et les trois chambres accueillent plus de sept personnes supplémentaires.
Ma tante ne ressemble à personne. Elle est une femme, tendre et aimante, qui ne jette même pas le moindre morceau de pain à la poubelle. Elle les offre plutôt aux poules des voisins. Elle recycle tout ce qui est en sa possession, par cet instinct et cette sagesse propre uniquement aux villageois.
Ma tante bien-aimée qui ressent instinctivement les maux des dépourvus, elle qui a connu la misère, qui a vécu l’exil et l’exode, et la maturité précoce. Elle qui a contribué à l’éducation de ses nombreux frères et sœurs. Elle qui s’est effacée jusqu’aux limites de l’abandon total pour garantir leur percée dans le monde, avant d’élever ses propres quatre enfants, et que la mort de l’un d’eux a bouleversé sa vie à jamais.
Ma tendre tante, qui est toujours prête à donner aux pauvres qu’elle rencontre la nourriture réservée à ses enfants, se sent aujourd’hui submergée par un flot de réfugiés qu’elle n’a pas les moyens d’aider. Il n’est pas tout à fait exact de dire qu’elle est submergée, elle ne sait tout simplement pas comment se forger une opinion par rapport à leur présence.
Ma tante me parle au téléphone comme si elle parlait toute seule: «Ne savent-ils pas que leurs femmes ne doivent pas tomber enceintes? Eux au moi, ils ont ceux tentent de leur assurer un toit pour les abriter, de la nourriture qui leur suffise, et des médicaments qui les guérissent… Et nous, personne ne prête attention à nous. Ils sont toutefois de pauvres gens, ma nièce. Victimes de l’injustice en exil. Une souffrance qui s’ajoute à une autre. Ce qu’ils racontent ferait pleurer les pierres. Que Dieu nous préserve des coups du sort. Ils ont toujours été au rendez-vous pour nous… Mais nous avons à peine de quoi subsister, alors comment leur rendre la pareille?».
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